dimanche 13 octobre 2019

Luc Ferry : la valeur éthique de la souffrance animale

A propos du statut juridique des animaux monsieur Ferry estimait en 1992 dans "le Nouvel Ordre écologique" que toutes choses étant égales, l'homme se distingue de l'animal dans la mesure où il est un être de culture ayant une histoire transmise et transmissible par apprentissage de sorte que ce ne serait  ni l'intelligence, ni la raison les véritables critères de différenciation des espèces mais bien la liberté comme faculté de transcendance et de détachement de l'égoïsme,  autrement dit il y aurait une véritable fracture évolutive entre l'humanité et l'ensemble des sociétés animales dont ces dernières seraient les laissées pour compte de l'évolution car elles ne peuvent se prévaloir ni d'un passé mémorial transgénérationnel, ni d'une culture digne de ce nom entendue comme "arrachement à la nature".
"Mais la culture, entendue comme effet de la liberté, elle-même définie comme arrachement à la nature, n'est jamais prise en compte comme telle", écrit-il page 83
Aussi, la bête ne pouvant se prévaloir d'une culture serait vouée toute entière à sa condition de nature, au déterminisme de l'instinct et n'aurait donc pas accès à la liberté constitutive de notre condition humaine, car cette liberté en ce qu'elle a de rationnel nous permettrait de transcender notre condition biologique. Et évidemment, c'est sans surprise que la première partie de son essai s'intitule "l'animal ou la confusion des genres".

Une des cibles privilégiées du professeur est l'ouvrage de monsieur Singer "la libération animale". Après avoir exposer chacune des thèses du livre, dont il serait trop long de faire l'inventaire ici, monsieur Ferry tente de faire la démonstration que l'animal ne doit pas devenir un sujet de droit (comme l'homme) en s'attachant à critiquer la position des utilitaristes anglo-saxons pour qui le critère morale essentiel tend à la maximalisation du bien-être collectif et  la  minimisation de la souffrance de tous les êtres sensibles en ce compris des animaux.
"Car il faudrait justement monter en quoi la souffrance des animaux est, en tant que telle, respectable."(page 82)
Pour faire court et sans nier le caractère sensible et souffrant des animaux, monsieur Ferry prétend que ce n'est pas vraiment un sujet philosophique (éthique) puisqu'il n'y a que l'humanité pour s'en préoccuper. Sans notre race de seigneurs, elle ne serait jamais à l'ordre du jour d'aucune préoccupation pour personne. Charité bien ordonnée commence par soi-même, voici l'éthique devenue l'affaire d'un club sélect. Si l'on a vu des militants sauver des baleines, l'inverse n'est pas vrai écrit-il! A quoi il est facile de répondre qu'il n'y a aucune raison qu'une baleine sauve un homme car aucun cétacé ne s'intéresse à la graisse d'un chasseur.

Quoi qu'il en soit quels pourraient être alors les bons arguments philosophiques à prendre en considération si ceux des Utilitaristes sont contestables ou trop faibles car, n'en déplaise à ces derniers, il ne s'agit pas faire un simple calcul du bien-être éprouvé ou des peines endurées ?  Comment la souffrance animale pourrait devenir un sujet éthique d'une absolue évidence ?

On devrait pouvoir avancer quelques réponses très ingénieuses et bien inspirées  mais pour l'heure il me semble que le critère de la dignité de l'homme et de la lutte contre la barbarie impose à nous tous de traiter sur un plan purement éthique la question du bien-être animal et en général du respect de l'environnement. Si l'homme est libre, il n'est toutefois moralement pas libre d'agir n'importe comment même si son intérêt l'y pousse.
La liberté justement, si elle est précisément un arrachement à la nature, doit pousser notre espèce à ne pas reproduire les lois de la jungle en ce compris la loi du plus fort. Dans cette perspective on ne se place pas du point de vue de la bête mais de l'homme dont on attend un seuil minimal d'empathie. Certes cette faculté n'appartient pas au domaine du droit mais son manque total conduit l'individu à la sociopathie et dans les cas graves à la un psychopathie, car qui est capable de faire du mal à un mammifère pourrait éventuellement en faire à son prochain. 

Nos "frères d'en-bas", expression de Georges Clemenceau, s'ils n'appartiennent pas à l'humanité, partagent malgré tout avec nous la condition d'être vivant et méritent à cet égard un minimum de respect voire de considération, ce qui ne peut être le fait du bon vouloir de chacun mais  doit être consacré par des règles de droit positif assorties de peines en cas d'infraction aux devoirs puisque c'est le seul moyen de sanctionner les comportements dégradants et irresponsables.

Si le vice nous est intolérable, alors qui pourrait être encore l'ami d'un écorcheur de chats ou qui pourrait lui faire confiance toujours connaissant sa déviance comportementale et son sadisme.

La dignité est une composante essentielle de l'éthique du vice et la vertu, et de ce point de vue, il n'y a pas de barrière entre les espèces. Le droit doit sanctionner tous les comportements vicieux, et si sans doute l'animal ne deviendra jamais sujet de droit, pour autant l'homme devra assumer de plus en plus d'obligations à son égard car cela fait partie de l'évolution souhaitable de nos sociétés où il faut appeler de tous nos vœux  le droit des animaux à une vie digne pour sanctionner le devoir des hommes à en assumer les conditions en tant que frère d'en-haut.

Le code civil doit connaître au-delà du droit des biens le droit de tous les êtres sensibles.
      

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