« - Examinons donc ce point, et disons: « Dieu est, ou il n'est pas. » Mais de quel côté pencherons-nous? La raison
n'y peut rien déterminer: il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un
jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera
croix ou pile. Que gagerez-vous? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre; par
raison, vous ne pouvez défaire nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté
ceux qui ont pris un choix; car vous n'en savez rien. - Non; mais je les
blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix; car,
encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, ils
sont tous deux en faute: le juste est de ne point parier. - Oui, mais
il faut parier; cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué.
Lequel prendrez-vous donc? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui
vous intéresse le moins. ( ... ). Votre raison n'est pas plus blessée, en
choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un
point vidé. Mais votre béatitude? Pesons le gain et la perte, en prenant croix
que Dieu est. Estimons ces deux cas: si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous
perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. »[1]
C'est en ces termes que Pascal essaie de convaincre son lecteur qu'il est
plus avantageux dans tous les cas de figure de croire en Dieu plutôt que de ne
pas y croire.
Bien entendu la réflexion présuppose que le non croyant s'expose à l'enfer
éternel car s'il n'y avait ni gain ni perte à ce jeu alors la mise n'aurait
aucun intérêt et dans tous les cas la mort aboutirait au même
résultat croyant ou pas.
Mais plus fondamentalement le Pari de Pascal nous suggère qu'il n'y a pas
d'abstention possible, c'est le sens de la phrase « Oui, mais il faut parier; cela n'est
pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc? ».
Alors qu'est qui permet d'affirmer que le scepticisme n'est pas de mise et
qu'il faut choisir un camp plutôt qu'un autre?
En réalité il existe quatre attitudes possibles en termes de croyance
métaphysique:
1)
Postuler l'existence d'un être supérieur;
2)
Postuler l'inexistence d'un être supérieur;
3)
Postuler un manque d'informations pertinentes pour se
prononcer;
4)
Postuler la suspension du jugement non pas sur
un manque d'informations utiles, mais sur base du postulat que la Raison ne peut pas trancher dans un tel dilemme.
Ces quatre attitudes se retrouvent respectivement chez:
1)
Les Croyants;
2)
Les Athées;
3)
Les Agnostiques;
4)
Les Sceptiques.
On voit donc que le Pari ne peut se réduire à une alternative et ne
consiste pas à couper les cheveux en deux mais plutôt en quatre.
Pour
réduire le problème à une alternative, il faut introduire les notions de gain
ou de perte en excluant la notion de ni gain, ni perte car celui qui ne joue
pas n'a rien à perdre et probablement rien à gagner non plus.
Certainement
Pascal connaissait la position des Sceptiques, ne serait-ce que par l'influence
de Michel de Montaigne.
Quelle raison donc a poussé le philosophe mathématicien à s'exprimer en un
langage binaire avec une réponse par oui ou par non?
A priori on pourrait supposer que le Jansénisme a exercé sur lui une
influence très forte au point de le forcer à trouver des arguments suffisants
pour justifier sa croyance mais ce serait malgré tout faire peu de cas du génie
de l'homme.
En effet, à bien réfléchir que l'on se déclare croyant, athée, agnostique
ou sceptique, toutes ces positions ont un point commun: on s'exprime par
rapport à Dieu avec pour réponses:
1)
Oui;
2)
Non;
3)
Peut-être;
4)
Je ne peux pas savoir.
Assez
étonnement il est impossible à quiconque de répondre:
5)
Je ne sais pas
Cette
dernière réponse ne pourrait-être formulée que par un enfant sauvage élevé par
des animaux en dehors de toute culture car réellement ce dernier ne pourrait
pas savoir, pas même comprendre la question de l’existence de Dieu.
Emmanuel
Kant avait bien compris que la notion de Dieu est un concept ultime, une espèce
de Pierre angulaire destiné à faire tenir l'édifice de la Raison qui n'est
somme toute que l'expression la plus aboutie de la culture.
Sans Dieu
(ou Dieux) - fut-il rejeté - point de culture, sans culture point de Raison et
sans Raison point d'Humanité.
Une
humanité sans dieu est un oxymore et une humanité avec dieu, un pléonasme.
Alors
Nietzsche a eu beau déclaré que Dieu est mort, moi - si je le pouvais - je lui
répondrais: « ça ne change rien », d'ailleurs les Evangiles l'avaient proclamé
avant lui: Dieu est mort mais il est ressuscité le troisième jour.
Quoi que
l'on fasse et quoi que l'on dise, parce que nous sommes des êtres humains
pétris de culture, Dieu se comportera très souvent comme un voleur qui entrera
par effraction dans nos maisons intérieures les plus intimes.
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