lundi 19 juin 2017

Le Pari de Pascal

« - Examinons donc ce point, et disons: « Dieu est, ou il n'est pas. » Mais de quel côté pencherons-nous? La raison n'y peut rien déterminer: il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre; par raison, vous ne pouvez défaire nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix; car vous n'en savez rien. - Non; mais je les blâmerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix; car, encore que celui qui prend croix et l'autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute: le juste est de ne point parier. - Oui, mais il faut parier; cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. ( ... ). Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas: si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. »[1]
C'est en ces termes que Pascal essaie de convaincre son lecteur qu'il est plus avantageux dans tous les cas de figure de croire en Dieu plutôt que de ne pas y croire.
Bien entendu la réflexion présuppose que le non croyant s'expose à l'enfer éternel car s'il n'y avait ni gain ni perte à ce jeu alors la mise n'aurait aucun intérêt et dans tous les cas la mort aboutirait au même résultat croyant ou pas.
Mais plus fondamentalement le Pari de Pascal nous suggère qu'il n'y a pas d'abstention possible, c'est le sens de la phrase « Oui, mais il faut parier; cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc? ».
Alors qu'est qui permet d'affirmer que le scepticisme n'est pas de mise et qu'il faut choisir un camp plutôt qu'un autre?
En réalité il existe quatre attitudes possibles en termes de croyance métaphysique:
1)       Postuler l'existence d'un être supérieur;
2)       Postuler l'inexistence d'un être supérieur;
3)       Postuler un manque d'informations pertinentes pour se prononcer;
4)       Postuler la suspension du jugement non pas sur un manque d'informations utiles, mais sur base du postulat que la Raison ne peut pas trancher dans un tel dilemme.
Ces quatre attitudes se retrouvent respectivement chez:
1)       Les Croyants;
2)       Les Athées;
3)       Les Agnostiques;
4)       Les Sceptiques.
On voit donc que le Pari ne peut se réduire à une alternative et ne consiste pas à couper les cheveux en deux mais plutôt en quatre.
Pour réduire le problème à une alternative, il faut introduire les notions de gain ou de perte en excluant la notion de ni gain, ni perte car celui qui ne joue pas n'a rien à perdre et probablement rien à gagner non plus.
Certainement Pascal connaissait la position des Sceptiques, ne serait-ce que par l'influence de Michel de Montaigne.
Quelle raison donc a poussé le philosophe mathématicien à s'exprimer en un langage binaire avec une réponse par oui ou par non?
A priori on pourrait supposer que le Jansénisme a exercé sur lui une influence très forte au point de le forcer à trouver des arguments suffisants pour justifier sa croyance mais ce serait malgré tout faire peu de cas du génie de l'homme.
En effet, à bien réfléchir que l'on se déclare croyant, athée, agnostique ou sceptique, toutes ces positions ont un point commun: on s'exprime par rapport à Dieu avec pour réponses:
1)     Oui;
2)     Non;
3)     Peut-être;
4)     Je ne peux pas savoir.
Assez étonnement il est impossible à quiconque de répondre:
5)     Je ne sais pas
Cette dernière réponse ne pourrait-être formulée que par un enfant sauvage élevé par des animaux en dehors de toute culture car réellement ce dernier ne pourrait pas savoir, pas même comprendre la question de l’existence de Dieu.
Emmanuel Kant avait bien compris que la notion de Dieu est un concept ultime, une espèce de Pierre angulaire destiné à faire tenir l'édifice de la Raison qui n'est somme toute que l'expression la plus aboutie de la culture.
Sans Dieu (ou Dieux) - fut-il rejeté - point de culture, sans culture point de Raison et sans Raison point d'Humanité.
Une humanité sans dieu est un oxymore et une humanité avec dieu, un pléonasme.
Alors Nietzsche a eu beau déclaré que Dieu est mort, moi - si je le pouvais - je lui répondrais: « ça ne change rien », d'ailleurs les Evangiles l'avaient proclamé avant lui: Dieu est mort mais il est ressuscité le troisième jour.
Quoi que l'on fasse et quoi que l'on dise, parce que nous sommes des êtres humains pétris de culture, Dieu se comportera très souvent comme un voleur qui entrera par effraction dans nos maisons intérieures les plus intimes.



[1] Pensées, Sellier 680 – Le Livre de Poche Librairie Générale Française ,2000 p460 et 461

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