dimanche 10 juillet 2016

D'Aristote à Locke: le sujet d'attribution et le sujet d'imputation.


Pour que le sujet d'attribution et le sujet d'inhérence deviennent actifs et ne restent pas seulement passifs, il leur faut opérer le passage intellectuel du QUOI au QUI.

L'imputation est l'opération par laquelle l'action est attribuée à un sujet.

Il est à noter que le verbe dont est dérivé le terme « catégoria » utilisé par Aristote signifie 
originellement en grec ancien « attribuer» mais aussi « imputer» ou « accuser ».

Bien que le second sens soit, historiquement, le plus ancien il s'est métamorphosé par la pratique
philosophique qui lui a réservé le sens « d'attribution », par une dérive qui neutralise en quelque sorte le terme.

Le paradoxe veut que la notion moderne de sujet n'a pas suivi cette dérive sémantique « imputation-
attribution» mais a pris le sens inverse partant de l'attribution pour aller vers l'imputation.

Schématiquement on a une correspondance de K1 (imputer) = SI (sujet d'imputation) et de K2
(attribuer) = SA (sujet d'attribution) qui aboutit historiquement à une permutation SA (K2)< SI (K1)

De Locke à Scheler, la notion de sujet moderne d'imputation va se construire progressivement et
faire de l'homme une personne qui s'attribue ou s'auto-approprie la capacité de s'attribuer un acte.

Chez Locke l'imputation est l'élément essentiel du « consciouness » c'est-à-dire de la conscience de
soi ou du self, ou encore du terme « person » en tant que concept judiciaire[1].

En définitive on a :

1.       S2 = Sujet d'imputation (accuser) qui donnera l'homme individuel, la personne, le self;
2.       S1= Sujet d'attribution sur lequel se fonde les notions d'homme, d'âme, d'esprit, de corps.


Car pour pouvoir s'attribuer à soi-même ses propres actes, il faut d'abord être sujet d'attribution. 



[1] John Locke Essai concernant l’entendement humain :
"La conscience fait la même personne. Mais quoi que la même âme ne suffise pas toute seule pour constituer l’homme, où qu’elle soit, et dans quelque état qu’elle existe ; il est pourtant visible que la conscience, aussi loin qu’elle peut s’étendre, quand ce serait jusqu’aux siècles passés, réunit dans une même personne les existences et les actions les plus éloignées par le temps tout de même qu’elle unit l’existence et les actions du moment immédiatement précédent ; de sorte que quiconque à une conscience, un sentiment intérieur de quelques actions présentes et passées, est la même personne à qui ses actions appartiennent.(…) Je suis certain que moi, qui écris ceci, suis, à présent que j’écris, le même moi que j’étais hier, soit que je sois tout composé ou non de la même substance matérielle ou immatérielle. Car pour être le même soi, il est indifférent que ce même soi soit composé de la même substance, ou de différentes substances ; car je suis autant intéressé, et aussi justement responsable pour une action faite il y a mille ans, qui m’est présentement adjugée par cette conscience que j’en ai comme ayant été faite par moi-même, que je le suis pour ce que je viens de faire dans le moment précédent."
Pages 251 § 16
"Le soi dépend de la conscience. Le soi est cette chose pensante, intérieure convaincue de ses propres actions (…)"
Page 252 § 17
"Ce qui est l’objet des récompenses et des châtiments. C’est sur cette identité personnelle qu’est fondée tout le droit et toute la justice des peines et des récompenses (…), puisque c’est sur cela que chacun est intéressé pour lui-même sans se mettre en peine de ce qui arrive d’aucune substance qui n’a aucune liaison avec cette conscience ou qui n’y a point de part."
Page 252 § 18
"Nous pouvons voir par-là en quoi consiste l’identité personnelle ; et qu’elle ne consiste pas dans l’identité de substance, mais d’en l’identité de conscience."
Page 252 § 19


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