vendredi 10 juin 2016

La mort de l'homme ou la fin de l’anthropologie kantienne

Dans « Par-delà le bien et le maNietzche évoque ce qu'il appelle « la superstition de l'âme» qui serait en fait une triple superstition: celle du sujet, celle du Moi et celle du Je, dont il dit qu'au départ ce devait être un simple jeu de mots ou une équivoque grammaticale; une espèce de « généralisation téméraire, abusive, de faits très restreints, très personnels ... »
En écho à son prédécesseur, Michel Foucault, dans « Les mots et les choses », parle de la « mort de l'homme », Cette mort qui comporterait deux aspects:
o    1er aspect : la réduction de la subjectivité comme objet d'étude par les sciences humaines (19éme et 20éme siècle) ;
o    2éme aspect confondu avec le premier: l'homme n'a jamais cessé de s'auto-construire mais ce faisant il a sans arrêt déplacer, déformer et transfigurer sa subjectivité au travers de figures changeantes car le sujet évolue au rythme des objets de connaissance qu'il construit [constitue].
Selon Foucault, la figure de l'homme en tant que sujet (Moi ou Je) serait une invention récente apparue au 16éme siècle à l'époque où le sujet religieux se revendiquait capable d'accéder à Dieu sans la médiation ni des prêtres ni de l'Eglise.
Historiquement, ce n'est pas tout à fait exact, car le rejet de la médiation remonte déjà au Moyen-Age et est central dans la théologie de la mystique rhénane. Ce rejet est celui de Denys le Pseudo-Aréopagite figure majeure du Christianisme néo-platonisant. Ce qui est refusé c'est la Hiérarchie et la hrarchie des anges placées entre Dieu et les hommes.
La cause de ce rejet est la métaphysique augustinienne de la conversion qui s'oppose directement à l'idée d'un monde intermédiaire et pose ainsi les premières fondations de la question du sujet humain.
Littéralement le terme sujet parait être de nature politique autrement dit « sub-jectum » signifie celui qui est placé sous, subordonné à quelqu'un. La vision hiérarchique est essentiellement une vision logique des choses (cf L'arbre de Porphyre concentrant l'essence de la vision hiérarchique: le général en haut, le particulier en bas).
Mais au Moyen-Age, au 13ème siècle préciment, eurent lieu à l'Université de Paris de grands débats portant sur le thème de la conversion augustinienne et ces derniers vont remettre en cause l'ordre hiérarchique d'où naîtra ensuite un sujet non plus politique mais un sujet psychologique.
Concrètement et principalement à Paris donc il y eut de grandes controverses entre théologiens et philosophes. Ces discussions portaient sur la question de savoir quelle est la vertu suprême: était-ce la magnanimité (voir Aristote dans l’Ethique à Nicomaque) ou bien l'humilichrétienne?
La question étant insoluble, Maître Eckhart va proposer une idée nouvelle à savoir que l'humilité consisterait à rejeter tout intermédiaire et corollairement s'humilier ce serait se placer au plus haut pour être directement subordonné à Dieu d'où la notion de « conversion» à Dieu; cette conversion est la loi de l'immédiateté, qui induit un « plus d'être» s’opposant au rejet de Dieu, « l'aversion» qui est la loi du  « moins d’être », L'homme humble n'a donc pas de supérieur, il s'élève au-dessus de toutes les créatures.
Antérieurement, dans la thèse hiérarchique ou politique, Dieu est à proximité de toute chose alors que toutes choses sont à des distances variables de Dieu, c'est la loi de l'immédiateté causale du Premier. Dieu peut se passer des intermédiaires mais inversement l'inférieur ne peut jamais accéder au supérieur sans passer par un intermédiaire.
Alors il est incontestable que nous sommes déjà, avec ces débats du 13ème siècle, en présence de la question du sujet telle quelle se formulera lors de la réforme religieuse du 16ème siècle.
Comme Foucault se soucie non pas essentiellement de la naissance du sujet mais plus spécifiquement de la « mort de l’homme» né pour lui au 16ème siècle, cet homme qui ne serait plus, précise-t-il, un objet de savoir, ce dernier donc laisserait un vide [ ... où il serait possible de le repenser en tant qu'objet de savoir? N.D.R].
Plus exactement, si l'homme est apparu au 16ème, l'homme de Foucault (disparu aujourd'hui) serait non pas exactement celui de la Réforme mais plutôt celui de l'anthropologie kantienne du 18ème siècle, car il n'y a pas d'histoire de l'homme sans anthropologie [et d’anthropologie point n’est avant Kant, N.D.R.].
A ce stade de la réflexion, Foucault rejoint Nietzche quand il écrit: « Nietzche a retrouvé le point où l'homme et Dieu s'appartiennent l'un l'autre, où la mort du second est synonyme de la disparition du premier »,

Alors, poursuivant sa pensée, la tâche serait maintenant de déraciner l'illusion anthropologique depuis Kant (cf. Kant « l'Anthropologie d'un point de vue pragrnatique») 

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