Comme chez Philodème et Galien, la lettre 75 de Sénèque à
Licilius tente de cerner ce qu'est la parrhêsia (ou la libertas chez les Romains).
Sénèque dans le rôle du directeur, veut que ses lettres
soient sans apprêt comme une conversation vivante en privé. Pourtant il ne
condamne pas l'éloquence si elle permet de montrer les choses à peu de frais.
Pourvu
qu'elle soit utile à autrui, la rhétorique peut être utilisée tactiquement mais
sans avoir l'obligation impérieuse de se soumettre à ses règles.
Pour servir le dirigé, elle ne doit pas s'adresser à
l'intelligence mais à l'âme de ce dernier (animi negotium).
L'utilité du discours de vérité ressort avec l'acquisition
d'aptitudes susceptibles de réactiver en cas de besoin des paroles (préceptes
n.d.r.) utiles à surmonter les épreuves de la vie, il ne s'agit donc pas de se remémorer la
beauté d'un discours, car le franc-parler est comparable aux arts stochastiques
(c'est-à-dire reposant sur des conjectures voir article du 12 octobre 2015) tels sont de ce genre le pilotage, le
gouvernement de soi et des autres ou encore la pratique de la médecine,etc. C'est-à-dire un ensemble d'activités à la fois rationnelles mais incertaines.
En résumé, l'objectif essentiel de la parrhêsia c'est de
transmettre purement et simplement la pensée du directeur sans fioriture pour
la rendre « visible» à l'auditeur (Parodosis) or - point fondamental - cela
n'est possible que si l'orateur ressent lui-même ses propos comme des paroles
de vérité en y conformant toute sa vie et sa conduite. Il doit y avoir
adéquation entre comportement et discours pour parler librement.
Donc, le franc-parler ne vise pas simplement le kairos, il
est d'abord un engagement de conformité entre les actes et les paroles de
l'orateur. Le directeur est un exemple de vérité, d'où la recommandation d'entretenir
des rapports individuels (si possible dans la conversation ou mieux encore dans
la coexistence) entre maître et disciple et d'où également le conseil d'éviter des entretiens
par procuration car il y va de la perpétuation d’un pacte de vérité.
Au niveau de la terminologie, on nommera pédagogique la
transmission de vérités qui a pour rôle de doter le sujet d'aptitudes et de
connaissances particulières; et on qualifiera de « psychagogique » la transmission
de la vérité qui n'a pas pour fin l'apprentissage de connaissances et
d'aptitudes mais qui vise la mutation du mode d'être du sujet.
Dans l'antiquité gréco-romaine c'est sur le conseiller que
repose le poids de la psychaogie, comme de la pédagogie, ensemble elles
forment la padéia (=éducation).
Par contre, avec l'avènement du Christianisme (dans la mesure
où la vérité dépend cette fois de la Révélation) la parrhêsia ne dépend plus du
maître, et la psychagogie de type chrétienne va faire basculer le poids de la
vérité sur les épaules de la personne guidée qui devra se charger seule de tenir
un discours vrai sur soi-même dans ce que l'on qualifiera d'aveu chrétien sensé
modifier le mode d'être du sujet.
Finalement, le Christianisme a séparé la pédagogie de la
psychagogie.
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