vendredi 16 octobre 2015

Sénèque: montrer sa pensée plutôt que parler

Comme chez Philodème et Galien, la lettre 75 de Sénèque à Licilius tente de cerner ce qu'est la parrhêsia (ou la libertas chez les Romains).

Sénèque dans le rôle du directeur, veut que ses lettres soient sans apprêt comme une conversation vivante en privé. Pourtant il ne condamne pas l'éloquence si elle permet de montrer les choses à peu de frais. 
Pourvu qu'elle soit utile à autrui, la rhétorique peut être utilisée tactiquement mais sans avoir l'obligation impérieuse de se soumettre à ses règles.
Pour servir le dirigé, elle ne doit pas s'adresser à l'intelligence mais à l'âme de ce dernier (animi negotium).

L'utilité du discours de vérité ressort avec l'acquisition d'aptitudes susceptibles de réactiver en cas de besoin des paroles (préceptes n.d.r.) utiles à surmonter les épreuves de la vie, il ne s'agit donc pas de se remémorer la beauté d'un discours, car le franc-parler est comparable aux arts stochastiques (c'est-à-dire reposant sur des conjectures voir article du 12 octobre 2015) tels sont de ce genre le pilotage, le gouvernement de soi et des autres ou encore la pratique de la médecine,etc. C'est-à-dire un ensemble d'activités à la fois rationnelles mais incertaines.

En résumé, l'objectif essentiel de la parrhêsia c'est de transmettre purement et simplement la pensée du directeur sans fioriture pour la rendre « visible» à l'auditeur (Parodosis) or - point fondamental - cela n'est possible que si l'orateur ressent lui-même ses propos comme des paroles de vérité en y conformant toute sa vie et sa conduite. Il doit y avoir adéquation entre comportement et discours pour parler librement.

Donc, le franc-parler ne vise pas simplement le kairos, il est d'abord un engagement de conformité entre les actes et les paroles de l'orateur. Le directeur est un exemple de vérité, d'où la recommandation d'entretenir des rapports individuels (si possible dans la conversation ou mieux encore dans la coexistence) entre maître et disciple et d'où également le conseil d'éviter des entretiens par procuration car il y va de la perpétuation d’un pacte de vérité.

Au niveau de la terminologie, on nommera pédagogique la transmission de vérités qui a pour rôle de doter le sujet d'aptitudes et de connaissances particulières; et on qualifiera de « psychagogique » la transmission de la vérité qui n'a pas pour fin l'apprentissage de connaissances et d'aptitudes mais qui vise la mutation du mode d'être du sujet.

Dans l'antiquité gréco-romaine c'est sur le conseiller que repose le poids de la psychaogie, comme de la pédagogie, ensemble elles forment la padéia (=éducation).

Par contre, avec l'avènement du Christianisme (dans la mesure où la vérité dépend cette fois de la Révélation) la parrhêsia ne dépend plus du maître, et la psychagogie de type chrétienne va faire basculer le poids de la vérité sur les épaules de la personne guidée qui devra se charger seule de tenir un discours vrai sur soi-même dans ce que l'on qualifiera d'aveu chrétien sensé modifier le mode d'être du sujet.

Finalement, le Christianisme a séparé la pédagogie de la psychagogie.

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