lundi 12 octobre 2015

Le "Peri parrhêsias" de Philodème

A la fin du 1er siècle avant J-C (au terme de la République), Philodème, épicurien grec installé à Rome, était le conseillé d'un certain Lucius Piso

Il fut un auteur fécond en tant que moraliste traitant de certains points particuliers se rapportant aux relations avec le pouvoir : économie de la vérité, flatterie, colère, vanité etc.

Selon Pierre Hadot, le "Peri parrhêsias" traite spécifiquement "de la confiance et de l'ouverture qui doit régner entre maître et disciples et entre les disciples." (qu'est-ce que la philosophie antique, page 193, Folio essais)

Pour le présent article, nous nous référerons aux propos de monsieur Gigante, un expert italien qui a présenté en 1968 un commentaire lors du congrès de l'association Budé consacré à l'Epicurisme.

Que nous apprend-t-il ?

Philodème présente le franc-parler comme un art sans jamais utiliser le terme "tekhnê, il écrit :

"l'homme sage  et philosophe applique le franc-parler en ce qu'il résonne en conjecturant par des arguments  plausibles et sans rigidité".[1]

Or, depuis Aristote la conjecture (stockhazomenos) est un art qui se base sur des arguments vraisemblables et plausibles juxtaposés sans ordre nécessaire et unique.
Aristote lui oppose l'art méthodique (methodikos) qui est un cheminement unique de la raison aboutissant à une vérité certaine.

Et chez Philodème (comme chez Aristote) cet art conjectural concerne le kairos (la bonne occasion : voir article du 11 octobre 2015). C'est-à-dire :


  1. on s'adresse avec soin aux disciples;
  2. on intervient au bon moment, ni trop tôt, ni trop tard;
  3. en tenant compte de l'état d'esprit de son interlocuteur;
  4. on essaie que tout se passe dans l'allégresse.



Ainsi, le franc-parler - ou la parole libre - est une thérapie et un secours, et Philodème  ajoute encore un élément nouveau en supplément :  s'exprimer doit inciter les élèves à la bienveillance les uns envers les autres. La bienveillance conduit à  un déplacement de la liberté de parole du maître vers les disciples entres-eux et favorise, en quelque sorte, l'amitié si chère aux épicuriens.

Chez ces derniers l'enseignement se base sur deux axes de transmission.

L'axe vertical qui s'inscrit dans une tradition "dynastique" d'enseignement de la vérité depuis Epicure jusqu'au directeur tirant son autorité du fondateur, et ce à travers une longue chaîne de transmission ininterrompue.

L'axe horizontal qui sert à promouvoir des relations fortes fondées sur l'amitié réciproque.

Donc la parrhêsia devait circuler suivant ces deux axes car il y avait l'obligation dans les groupes épicuriens de se réunir pour parler et dire ce qu'on a sur le cœur, ce que l'on pense, etc. Autrement dit il s'agissait d'une forme de confession gréco-romaine  à ne pas confondre avec des pratiques religieuses et cultuelles.
Cette ouverture de cœur et d'âme avait pour fonction d'assurer le salut du disciple et, en y ajoutant la bienveillance réciproque, de l'étendre au groupe tout entier.

Il semblerait que cette pratique de la parrhêsia fut unique en son temps mais, à tort ou à raison, elle nous suggère déjà les prémisses du Christianisme. 




[1] (Fragment I, p.3 "peri parrhêsias", éd. Oliveri, Leipzig, Teubner, 1914).

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