Dans l'Antiquité il était recommandé de lire peu de textes
et d'en bien choisir quelques passages. La pratique méditative du résumé, du
florilège des meilleurs textes ou le relevé de citations était courante, car il
s'agissait non de connaître une œuvre mais de méditer c'est-à-dire de s'exercer
et de "s'entraîner à", pour devenir le sujet qui s'approprie la pensée vraie, qui la grave dans son esprit afin qu'elle soit toujours à portée de main,
disponible pour l'action, mais attention ce n'est pas une exégèse. Exemple:
méditation de la mort comme exercice mais non comme réflexion. La pensée utilise le sujet mais le sujet ne joue pas avec la pensée.
Au 17ème siècle Descartes aura la même démarche dans ses «
médiations ». Il doute de tout sans réellement chercher à savoir si les choses
sont douteuses. Le sujet se déplace vers une situation fictive, se met à
l'épreuve sans tenir compte du contexte ou des auteurs lus. Il en ressort des
convictions personnelles considérés par le méditant comme propositions vraies,
formant un guide de conduite.
Mais revenons à l'Antiquité [1er et 2ème siècle], si la
lecture est source de méditation, l'écriture ne l'est pas moins. Du point de vue de Sénèque
il fallait alterner l'une et l'autre. Epictète conseille aussi de lire et
d'écrire. L'écriture a le mérite de fixer la pensée dans l'âme.
Les notes de lecture ou de cours support de souvenirs: les
hupomnêmata.
Usage pour soi: Il fallait écrire et se relire pour
assimiler la vérité du logos afin de se secourir en cas de besoin
(praemeditatio malorum).
Usage pour les autres: la correspondance spirituelle ou «
les échanges de services d'âme » ont pour fonction non pas de se donner des
nouvelles du monde mais de soi-même et conseiller ou d'orenter celui qui est le moins avancé
dans la vertu tout en se rappelant à soi-même les vérités essentielles lues ou
entendues. C'est une autre forme d'exercices spirituels dont les bienfaits
contre les malheurs sont partagés entre les correspondants. (Voir
correspondance de Sénèque à Lucilius, ou le traité de la tranquillité de Plutarque
adressé à un certain Paccius).
Ce genre épistolaire réapparaîtra au 16ème siècle avec
l'emprunte du Christianisme sous forme spécifique de journaux d'autobiographie
quasiment inexistante au 1er et 2ème siècle.
Dans la pastorale chrétienne on va trouver un art de la
parole extrêmement développé et complexe.
Du côté du maître la parole est fondée et ordonnée sur la Révélation, ce qui
n’empêchera pas une floraison de discours sous différentes formes et
embranchements : enseignement de la vérité, prescription ou paranèse,
direction de conscience, confession.
Du côté du dirigé l’exercice de la parole est de dire la
vérité sur soi-même pour gagner son salut, le disciple n’a droit à l’expression que dans
le cadre de l’aveu.
Or quand cette obligation de dire la vérité sur soi a été
inscrite dans la pastorale chrétienne, on peut parler d’un bouleversement
majeur dans le rapport du sujet à la vérité car cette condition de confession
est totalement inexistante durant la période grecque, hellénistique ou romaine. En
effet pour les Grecs celui qui doit être conduit à la vérité n’a pas à la dire
car il est ignorant, il doit se taire et écouter.
Si toutefois on retrouve quand même chez les anciens
l’obligation d’être franc et de dire la vérité c’est à titre instrumental et
non dans le cadre de l’aveu qui implore la bienveillance de Dieu ou des juges
(on n’est pas dans une culture du soupçon).
L’accès à la vérité se fait par l’écoute ou la relation d’un
discours vrai, et si le disciple ou l’ignorant a le droit à la parole comme
dans les dialogues socratiques, dans la dialectique en générale, et dans la
diatribe stoïci-cynique il s’agit de tester ou de réfuter les opinions fausses
incompatibles avec le dire-vrai.
Le discours du maître peut se développer à partir des
opinions erronées du disciple et donc le rôle de ce dernier reste le silence et
l’écoute.
Il doit se taire pour s’approprier le discours vrai du
maître et le subjectiviser. Au silence du disciple répond la parrhêsia ou
libertas du maître forme du discours rhétorique sans « rhétorique » ouvert où l’on dit tout franchement ce qui
doit être exposé parce que c’est vrai.
C’est d’ailleurs à partir du conflit entre philosophie et
rhétorique - qui devint très intense aux 1eret 2ème siècle
- que doit se définir la parrhêsia comme
forme nécessaire du discours philosophique, à la fois art de la parole mais
aussi parole éthique vraie.
C’est ce langage dénué de toute séduction rhétorique qui
permettra au disciple silencieux de devenir un jour également sujet porteur de
véridiction.
En somme, la parrhêsia ou la libertas sont les règles pour
formuler un discours vrai.
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