lundi 27 juillet 2015

SUBJECTIVATION DU DISCOURS VRAI PAR L'ECOUTE

Différences entre l’ascèse philosophique et chrétienne


Pour rappel l’ascèse païenne de la pratique de soi n’a pas pour but le renoncement comme chez les chrétiens mais au contraire la création de soi-même comme fin de l’existence. D’un soi que l’on équipe d’un dispositif de protection contre l’adversité (la paraskeuê). En outre, les Grecs  ne cherchaient pas une pratique soumettant l’individu à des lois - fussent-elles divines - mais seulement à la vérité car en fait l’ascèse était l’appropriation d’un discours de vérité dans un art de vivre  de soi à soi afin de  devenir sujet de ce discours au travers d’un processus de subjectivation [c’est-à-dire où il faut faire sien] et non d’objectivation de soi comme dans les discours vrais des aveux et de la confession chrétiens qui aboutissent à la renonciation.

L’écoute


Pour recueillir le logos il faut évidemment être à l’écoute. Plutarque a d’ailleurs consacré un traité à ce sujet le « peri  tou akouein » ou « De Audiendo » où l’ouïe est présentée comme le plus passif de tous les sens car si l’on peut s’empêcher de voir, de toucher, de sentir ou de goûter on ne peut jamais éviter d’entendre. On est ébranlé et l’on fait fuir avec un bruit violent, on séduit et l’on ensorcelle l’âme  par des flatteries (cf Ulysse et les Sirènes).
S’il est le plus passif, il est également le seul capable de recevoir le logos. Les autres sens sont source de plaisirs, de vices et d’erreurs, ce sont eux qui nous trompent sur la réalité. Mais l’ouïe est le seul capable d’apprendre la vertu par le langage entendu.
Sénèque dans la lettre 108 reprend l’idée du sens passif de l’ouïe et c’est très bien pour la philosophie car même en état d’écoute passive il reste toujours quelques fruits du discours dans l’âme où a pénétré le logos, le verbe. Cela est lié à la doctrine des semences de vertu qui germent dans l’âme à l’écoute de paroles de vérité.
Néanmoins tous les auditeurs ne profitent pas de la philosophie car certains ne sont pas attentifs. Ils font seulement attention au style, à la recherche de mots et aux ornements verbaux.
Car même passive l’attention doit être bien dirigée sur une bonne cible (et ne pas être sur mauvaise longueur d’ondes n.d.r.). D’où nécessité d’un art de l’écoute.
Epictète (Entretien II, 23) estime pour sa part que la passivité de l’ouïe peut être dangereuse et nuisible car les vérités doivent être dites selon un discours (parodosis), une manière de dire (lexis),et de ce fait, l’audition est  toujours soumise à l’erreur potentielle du contresens et de la faute d’attention. Ainsi écouter est aussi difficile que l’art (tekhnê) de parler, il lui faut de « l’emperia »  c’est-à-dire de la compétence et de la « tribê » c’est-à-dire de l’assiduité.    L’écoute n’est pas une tekhnê (un art) mais une expérience, une compétence ou une habilité.

L’empeiria et la tribê


Il y a 3 moyens pour exercer sa compétence et son assiduité à l’écoute :

Le silence.


Vieille règle que l’on retrouve chez les pythagoriciens où s’imposaient 5 ans de silence pendant l’écoute du discours vrai où transparaît le logos.
Plutarque, le stoïcien, dans son traité sur le vice du bavardage, considérait que le silence est enseigné par les dieux aux hommes et que ces derniers nous ont appris la parole. Ainsi le silence est essentiel à la bonne éducation. Même si elle paraît étrange aujourd’hui, la règle du silence chez l’enfant est restée jusqu’avant la seconde guerre mondiale. Mais plus encore chez Plutarque l’économie de la parole doit durer toute la vie surtout durant l’écoute de sentences, de poèmes ou lors du discours d’un sage, il faut essayer de retenir la parole et ne pas la traduire immédiatement en une autre parole. Pour Plutarque amusé, l’oreille du bavard ne communique pas avec l’âme mais avec la langue d’où se perd le logos en propos inutiles.

L’attitude physique calme et attentive.


Elle a pour fonction de permettre l’écoute active sans agitation aussi immobile que possible comme statufié. Chez les Thérapeutes il était de coutume d’être tourné vers l’orateur avec une attention immobile. L’immobilité permet de donner sens aux gestes de l’orateur, dans l’antiquité c’était aussi la garantie de la moralité. L’agitation est le signe de la stultitia, c’est-à-dire de l’agitation de l’âme, de l’attention dispersée et de l’esprit vagabond. L’homme agité est efféminé au sens au il est passif, incapable de contrôle sur lui-même. Dans la lettre 52 de Sénèque, ce dernier estime même que l’attitude corporelle laisse transparaître la moralité d’une personne. Chez Philon néanmoins quelques geste sont nécessaire pour montrer que l’on est attentif (léger sourire, opiner ou hocher de la tête, lever l’index).
Il y a aussi l’attitude (les signes) en général, autrement dit on se fait discret et on ne cherche pas à séduire le maître par son intelligence, sa beauté, sa richesse ou sa mise. Le maître doit être attentif et stimulé par la seule volonté de son disciple d’apprendre la vérité.

L’attention proprement dite est double.


L’auditeur doit mettre son attention sur l’objet du discours (to pragma), autrement dit son idée ou sa motivation pour qu’il devienne précepte de vérité en éliminant ce qui n’est pas pertinent, soit le vocabulaire, la grammaire, le style etc. A cet égard voir lettre 108 de Sénèque au sujet d’une citation de Virgile.
L’attention doit aussi être dirigée vers soi car la bonne écoute du discours vrai c’est également la capacité à mémoriser, à garder en soi dans le silence, sans discuter, les préceptes et faire comme  un rapide examen de soi, un bref coup d’œil que l’on s’accorde en sortant de chez le coiffeur. 

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