jeudi 23 juillet 2015

PRATIQUE DE L'ASCESE RATIONNELLE COMME SECOURS ET PREPARATION AUX EPREUVES DE LA VIE / LA PAROLE VRAIE

Du point de vue pratique, la conversion à soi est ce que les Grecs nommaient « l'askêsis » (ascèse). Par exemple, selon Musonius Rufus, la vertu requière deux choses: un savoir théorique (epistemê theôrêtikê) et un savoir pratique (epistemê praktikê) acquis par l'entraînement, autrement dit par une forme d'ascèse ou de gymnastique. Bien entendu cette idée d'exercice fait partie de la tradition, on la retrouve chez Pythagore, Platon, Isocrate ou tout particulièrement chez les Cyniques, etc.

On peut comprendre ces exercices comme un ensemble de règles et de pratiques qui forment un code de conduite mais cette conception présentée sous forme  de lois, de codes ou de règles pratiques est un peu réductrice car elle sous entend de l'austérité, du renoncement, des interdits, des prescriptions scrupuleuses etc).

Au contraire, durant les 1er  et 2ème  siècles de notre ère,  l'askêsis fut une pratique de vérité. Autrement dit le philosophe hellénistique ou romain cherchait comment mettre en accord sa connaissance de la vérité avec ses actes, ou comment la finalité du soi pour soi (conversion) pouvait se pratiquer au travers de l'exercice de la vérité. Etant entendu que la vérité du sujet n'était pas pour lui un fait objectivable comme dans la psychologie moderne mais une modalité du savoir se présentant comme un point de vue divin ou rationnel sur la nature.

Nos paradigmes modernes sont anachroniques et inadaptés pour se représenter le sujet de la pensée antique. En effet, pour nous le sujet est un objet de connaissance et la pratique est une mise en œuvre de règles ou de lois, or aux 2 premiers siècles ce n'était pas le cas.
Il n'était donc pas question dans l'ascèse de règles ayant pour objectif le renoncement à soi, mais à l'inverse il s'agissait d'aboutir à la constitution de soi-même, à une autosuffisance, à une transfiguration ou à un rapport plein de soi à soi et finalement d'accéder au bonheur.

Bien entendu l'austérité que l'on retrouvera plus tard chez les Chrétiens existe bel et bien à cette époque, pensons à l'éthique stoïcienne, mais finalement il est toujours question d'acquérir ou de rechercher quelque chose et non de se dépouiller. L'ascèse ancienne équipe et dote le sujet de la « paraskeuê » c'est-à-dire une préparation à l'avenir, aux événements de la vie.

Chez Demetrius elle est présentée sous la métaphore de l'athlète qui s'exerce à certains mouvements indispensables à sa discipline et à rien d'autre afin d'être toujours capable de faire face à ce qui peut arriver en toutes circonstances.

Dans le même ordre de comparaisons, l'athlète de la spiritualité chrétienne sera plutôt comparable à un danseur qui doit continuellement se dépasser pour arriver à un état de perfection supérieur et se surpasser en vue d'atteindre l'état de sainteté. Autrement dit, il lutte contre lui-même.

Tandis que l'athlète hellénistique et romain ancien est un lutteur non contre lui-même mais contre les événements et les déconvenues.

Par ailleurs la paraskeuê est un ensemble de discours (logoi) énoncés sous forme de sentences mémorisées et fondées en raison. Autrement dit elles sont vraies et forment un recueil de prescriptions ou un modèle rationnel de comportement.

En outre, ces propositions sont persuasives car elles entraînent naturellement des actes en accord avec les principes.

Enfin la paraskeuê en tant que logos doit être un secours (boêthos) à portée de main, disponible à tout moment lorsque « l'athlète» a besoin d'aide car au préalable il aura - en quelque sorte - mémoriser les logoi dans sa chaire et ses muscles. Ce secours est présenté sous de multiples images: le remède, le pilote, l'armure, la muraille, la citadelle perchée sur les hauteurs ou la forteresse contre les ennemis.

Cet ennemi du philosophe est la déconvenue, le chagrin, le deuil, l'accident, la maladie, la mort etc.


En résumé, on voit donc que la mémoire en tant qu'ascèse (askêsis) c'est se remémorer des principes énoncés sous forme de sentences qu'il n'est plus nécessaire d'énoncer car ils font totalement partie de l'être du philosophe. Pourtant, il ne faut pas confondre cet exercice de mémoire avec la réactivation verbale d'un discours déclamé ou prononcé.

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