vendredi 17 juillet 2015

SAVOIR SPIRITUEL ET SAVOIR DE CONNAISSANCE

En posant la question de la conversion à soi dans toutes ses déclinaisons : revenir à soi, tourner son regard vers soi, reporter sur soi son attention etc. il n’est jamais question de la constitution d’un savoir intérieur de l’être humain distinct d’un savoir extérieur du monde.
Chez Sénèque comme chez Marc-Aurèle, il s’agit plutôt d’une modélisation du savoir qui transforme la perspective du sujet sur le monde des objets environnants. Dans le premier cas le déplacement du moi se fait dans un mouvement de recul et d’élévation avec reconnaissance de la co-naturalité du sujet et du divin (consortium dei), perspective qui permet de jauger le monde vu dans sa totalité , dans l’autre cas il s’agira au contraire d’observer au plus près le monde des objets dans ses moindres détails pour lever les opinions erronées à son égard et concevoir en fait que le sujet n’a d’autre identité que la Raison universelle elle-même.
Dans les deux cas, il s’agit de donner une valeur aux choses c’est-à-dire leur donner une place et établir leurs relations et dimensions propres, mais aussi évaluer leur importance et mesurer leur capacité à influencer l’homme libéré.
On notera également qu’il s’agit d’un processus de réflexion au sens où le sujet doit être capable de se voir lui-même et de se saisir dans sa réalité ou la réalité de son être.
Enfin il faut avoir à l’esprit la finalité de la conversion à soi qui est la transfiguration du sujet découvrant sa part de liberté et cherchant au final, avec les perfections dont il est capable, le bonheur.
Cette transfiguration ou ce savoir ni intérieur, ni extérieur nous le qualifierons de spirituel.

A la charnière des 16ème et 17ème siècles ce savoir spirituel a été récupéré et converti en savoir de connaissance (Descartes, Pascal, Spinoza etc.).
Dans la littérature le personnage de Faust illustre au mieux cette métamorphose du facteur spirituel en éléments de connaissance pure.
Le Faust de Marlowe est un personnage damné parce qu’il possède un savoir maudit et interdit. En revanche, Lessing, lui, le sauve car il transforme son savoir en un nouveau mythe, celui du progrès de l’humanité. Ainsi ce qui n’était que spiritualité devient progrès de l’humanité. Ce n’est plus l’individu mais l’espèce entière qui est touchée par la rédemption. 
Le Faust de Lessing a su transfigurer le savoir spirituel en savoir de connaissance.
Quant au Faust de Goethe il est également un personnage damné car il possède un savoir spirituel banni qui s’élève au sommet du monde pour en saisir tous les éléments et qui descend également dans ses entrailles en vue du bonheur par la transfiguration du sujet.
Il se lamente de la connaissance sans effet :
« philosophie, hélas ! jurisprudence, médecine, et toi aussi triste théologie !... je vous ai donc étudiées à fond, avec ardeur et patience ; et maintenant me voilà là, pauvre fou tout aussi sage que devant… »
Il cherche des effets spirituels :
« je ne crains rien du diable, ni de l’enfer ; mais aussi toute joie m’est enlevée. Il ne me reste désormais qu’à me jeter dans la magie. Oh ! si la force de l’esprit et de la parole me dévoilait les secrets que j’ignore, et si je n’étais plus obligé de dire péniblement ce que je ne sais pas ; si enfin je pouvais connaître tout ce que le monde cache en lui-même, et, sans m’attacher à des mots inutiles, voir ce que la nature contient de secrète énergie et de semences éternelles ! Astre à la lumière argentée, lune silencieuse, daigne pour la dernière fois jeter un regard sur ma peine ! (…) J’ai si souvent la nuit veillé près de ce pupitre ! c’est alors que tu m’apparaissais sur un amas de livres et de papiers, mélancolique amie ! Ah que ne puis-je, à ta douce clarté, gravir les montagnes, errer dans les cavernes avec les esprits, danser sur le gazon pâle des prairies, oublier toutes les misères de la science, et me baigner rajeuni dans la fraîcheur de ta rosée. ».

Pourtant le savoir spirituel disparut avec l’Aufklärung et le savoir de connaissance, d’où la nostalgie de Faust.

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