vendredi 10 juillet 2015

LES TROIS MODELES DU SOUCI DE SOI

Avec l’idée de conversion à soi, on a vu qu'il ne s'agissait plus de simplement faire attention à soi mais il fallait ajouter un effort, sorte de déplacement du sujet ou de retour à soi. Elle est illustrée par la métaphore de la navigation en ce qu'elle nécessite un déplacement, une destination (le port, le havre), un port d'attache (sa patrie), les risques ou les dangers du voyage, et un art du pilotage. 

Jamais l'éthique de soi ne fut aussi dominante qu'à l'époque hellénistique et romaine même si on la trouve perpétuellement dans notre histoire (Montaigne, Schopenhauer, Stirner, Nietzsche, Dandysme, Badelaire etc.).

A partir du moment où le souci de soi devint aussi radical que la conversion à soi il faut se demander si le sujet ne devient pas lui-même objet de connaissance? N'est-ce pas là les prémices des sciences de l'esprit que l'on nommera beaucoup plus tard la psychologie ?

La réponse est complexe !

Tout d'abord le modèle hellénistique et romain a été dominé par les modèles platonicien et chrétien.

Le modèle platonicien du souci de soi (réminiscence)

  1. Découverte de l'ignorance;
  2. Connaissance de soi c'est-à-dire l'âme;
  3. Réminiscence: l'âme se souvenant de ce qu'elle a vu se souvient de ce qu'elle est. ;
Le modèle Chrétien (exégèse)   
  1. La connaissance de soi se donne dans la connaissance des textes de la Révélation.et le cœur doit être purifié pour accueillir la Parole. La vérité est celle des écritures qui ne peuvent être comprises par un cœur impur. C'est un modèle circulaire: Révélation de la vérité àcœur pur à connaissance de soi, et connaissance de soi àpurification du cœur à Révélation de la Vérité;
  2. La purification implique le renoncement aux illusions intérieures et aux tentations de l'âme. C'est une exégèse de soi, un déchiffrement;
  3. Enfin le but n'est pas de se retrouver mais plutôt de renoncer à soi.

La Gnose des premiers siècles est dominée par le modèle platonicien alors que le christianisme développait l'exégèse.

Ces deux modèles nous ont été transmis par l'Eglise Chrétienne dans toute la culture occidentale. Pourtant il existe bien un troisième schéma qui a été totalement éclipsé par la réminiscence et l'exégèse (fin de l'antiquité début de notre ère) c'est le modèle hellénistique: l'auto finalisation du rapport à soi

Le modèle hellénistique (conversion à soi)
  1. Le souci de soi est privilégié par rapport à la connaissance de soi;
  2. Le soi est l'objectif à atteindre;
  3. Il se fonde sur une morale austère (que le christianisme adoptera plus tard).

Ce modèle n'accorde pas plus d'importance à la connaissance de soi qu'à la connaissance de la nature. 
Pour les stoïciens, les épicuriens ou les cyniques, les connaissances quelle qu'elles soient sont soumises à l'art de vivre (tekhnê tou biou) ;

Chez Sénèque

Il critique l'enseignement, le savoir ostentatoire et vaniteux et recommande de ne pas trop lire mais d'approfondir un ou deux livres car il préfère la méditation par la technique des sentences en tant qu'énoncés de vérité.

Mais dans « questions naturelles », ouvrage tardif, il étudie le ciel, l'air, l'eau, la terre et les météores.

Pourquoi cet intérêt nouveau pour les causes naturelles ?

Essentiellement en raison de la vieillesse: ce parcours du monde est nécessité par le besoin d'achèvement de la vie, il se sent vieux et pressé de connaître les causes naturelles. Pour Sénèque il faut traverser la vie d'un trait, au plus vite et comme il a perdu beaucoup de temps il doit se presser de s'occuper de soi et donc le reste est sans importance, c'est-à-dire le savoir historique (la vie des rois, leurs conquêtes, les guerres, les souffrances etc.). Bien entendu le savoir historique ne se confond pas avec la connaissance de la nature. Pour Sénèque la vraie grandeur est la maîtrise sur soi, le contrôle des vices, la fermeté dans l'adversité, la lutte contre les plaisirs mais pas les grandes victoires militaires ou politiques, l'homme doit chercher son bonheur dans son propre esprit, la qualité de son âme et se sentir libre, mais aussi se sentir prêt pour la mort.


Par ailleurs, se soucier de soi ce n'est pas se lancer dans toutes sortes d'activités profitables à son bien-être qui finalement nous aliènent davantage, mais c'est se libérer de cette forme d'esclavage activiste, or pour cela il faut inspecter la nature des choses, et alors seulement l’étude de la nature nous assurera cette libération.

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