On a vu que le souci de soi s'est désenclavé de la pédagogie
(Alcibiade), mais aussi qu'il est devenu à l'époque impériale un véritable art
de vivre passant d'un rapport maître disciple strict à un véritable rapport
social où l'on retrouve notamment mais pas exclusivement ce lien disciplinaire.
Concomitamment le souci de soi établi dans une perspective
politique est devenu une préoccupation purement individuelle salutaire à
soi-même en repoussant les attraits du monde extérieur, en se retournant ou en
se convertissant à soi-même et alors étonnamment cette pratique aurait des
effets bénéfiques sur la collectivité.
Chez Platon la conversion c'est l'epistrophê où le principe
est de se détourner des apparences, de reconnaître son ignorance puis de
s'occuper de soi (âme) et de faire acte de réminiscence. La clé de l'epistrophê
est le rejet du monde sensible comme valeur de vérité par un dégagement de
l'âme du corps-tombeau.
Au 1er et 2éme siècle on ne joue plus sur la dualité
âme/corps, monde d'en-haut/monde d'en-bas. La conversion sera immanente en
écartant ce qui ne dépend pas de nous de ce qui en dépend. Le rôle de la
connaissance est largement infléchi.
L'epistrophê fait place à la conversion (metanoia) non pas
chrétienne mais hellénistique qui est un arrachement ou une rupture à l'égard
de tout ce qui n'est pas soi et le rend esclave, autrement dit c'est une
désaliénation. On se dégage du monde et on retourne chez soi, notre forteresse
intérieure qui doit être équipée, armée pour se défendre et en jouir car il
faut être maître de soi.
Il n'y a pas de transmutation du soi comme chez les
chrétiens mais une appropriation de la subjectivité. Ce n'est d'ailleurs pas
une conversion stricto sensu mais une conversion négative par le rejet de ce
qui n'est pas soi, on veut éviter le repentir de se négliger alors qu’au
contraire les chrétiens, de leur côté valorisent la repentance.
Pour Pierre Hadot l'epistrophê c'est le retour de l'âme à sa
source, à la pureté de l'être par l'éveil. Dans sa grille d'interprétation, il
lui oppose la pensée occidentale de la metanoia prise au sens chrétien de
ré-enfantement ou de renouveau radical.
Michel Foucault estime pour sa part que la pensée philosophique
du 1er et 2éme siècle n'est ni une epistrophê, ni une metanoia chrétienne.
Sur quel élément se base-t-il ?
Sur la conversion du regard décrite chez Sénèque,
Marc-Aurèle, Epictète, etc.
La conversion du regard est la concentration de l'attention
sur soi en faisant abstraction du monde extérieur, se regarder soi-même et non
les autres par curiosité ou pour tout autre motif. Ce n'est pas le connais-toi
socratique ni même l'observation chrétienne comme examen de conscience où il
s'agit d'écarter les péchés, les tendances mauvaises. Plutarque propose divers
exercices pour lutter contre la curiosité mais le but est d'avoir l'attention
focalisée sur l'action droite guidée vers un but par le maître intérieur. Comme
l'athlète en plein exercice est tendu vers un objectif, il faut faire le vide
autour de soi. Présence de soi à soi à cause de la distance qui nous sépare de
nous-même. Ici, il n'est donc pas question de connaissance de soi
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