Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, livre I, paragraphes 16-17
« Nous répondrons de la même manière que précédemment à la question de savoir si le sceptique a une doctrine (αἵρεσις/hairesis). Si l'on dit qu'une doctrine est l'adhésion à plusieurs opinions (δόγμα/dogma) qui sont cohérentes entre elles ainsi qu'avec les choses apparentes (φαινόμενα/phainomena) et si l'on dit qu'une opinion est l'assentiment donné à une chose non manifeste (ἀδήλον/adêlon), nous dirons ne pas avoir de doctrine. Mais si l'on déclare qu'une doctrine est la manière de faire (ἀγωγή/agôgê) qui, suivant ce qui est apparent, est cohérente avec un certain type de discours (λόγος/logos) — discours qui suggère comment, semble-t-il, il est possible de vivre correctement, entendant par “correctement” quelque chose de plus large que “conformément à l'excellence” (ἀρετή/aretê), et discours qui comprend jusqu'à celui qui a la faculté de mettre en suspens (ἐπέχειν/epekhein) —, alors nous dirons avoir une doctrine. En effet, nous sommes en cohérence avec un certain type de discours qui, suivant ce qui est apparent, nous suggère de vivre en rapport avec les coutumes de nos pères, les lois, les manières de faire et les affections propres. »
Voici la conclusion d’une personne en réaction à ce texte
pour le moins sibyllin
« Les sceptiques, pourfendeurs de la prétention philosophique à dire le monde, ne seraient-ils pas ainsi des conservateurs individualistes de l'ordre établi ? »
On comprend que le doute puisse s'insinuer, alors il faut me,semble-t-il, préciser
certaines caractéristiques du scepticisme.
A cette conclusion logique sous forme de question je me dois de réagir utilement en réponse tant à la rédactrice qu'à la citation de Sextus, et ce de la manière suivante :
Effectivement la référence à la phrase "vivre en
rapport avec les coutumes de nos pères" évoque immanquablement une forme
de conservatisme. Pour autant j'imagine mal Pyrrhon, Arcécilas ou Sextus être
des défenseurs de l'ordre établi!
En revanche il est fort possible que ne voulant prendre
position sur aucune question, ils en laissent le soin à l'ordre établi ou même
si l'ordre devait changer ils en laisseraient le soin au nouvel ordre à venir.
Sont-ce des individualistes ? Peut-être ! Bien qu'il ne faut
pas être sceptique pour être individualiste et ce n'est certainement pas la
marque de fabrique du sceptique.
Ce qui me paraît devoir ressortir comme trait fondamental
chez ce dernier c'est la suspension du jugement car pour tout les philosophes
la thèse et l'antithèse fournissent inévitablement une synthèse or le sceptique
récuse cette dernière.
Pour lui la raison n'est pas biodégradable mais bien
"théoricodégradable", elle s'auto-annule d'elle-même car elle ne peut
pas résoudre ses contradictions.
Est-ce immoral ?
Oui quand on cherche à tirer profit des failles du
raisonnement comme les Sophistes le faisaient en jetant le trouble dans
l'esprit de leurs interlocuteurs.
Non pas du tout immoral quand cela aboutit à démonter toutes
les chimères et les vérités de pacotilles dont on nous abreuve depuis la nuit
des temps.
C'est un exercice de décrassage de l'âme (encore que le mot
âme soit de trop). Ou encore une purification libératoire, une purge de toutes
les toxines idéologiques et dogmatiques.
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