jeudi 18 juin 2015

SEXTUS EMPIRICUS SEME LE TROUBLE

Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, livre I, paragraphes 16-17

« Nous répondrons de la même manière que précédemment à la question de savoir si le sceptique a une doctrine (αἵρεσις/hairesis). Si l'on dit qu'une doctrine est l'adhésion à plusieurs opinions (δόγμα/dogma) qui sont cohérentes entre elles ainsi qu'avec les choses apparentes (φαινόμενα/phainomena) et si l'on dit qu'une opinion est l'assentiment donné à une chose non manifeste (ἀδήλον/adêlon), nous dirons ne pas avoir de doctrine. Mais si l'on déclare qu'une doctrine est la manière de faire (ἀγωγή/agôgê) qui, suivant ce qui est apparent, est cohérente avec un certain type de discours (λόγος/logos) — discours qui suggère comment, semble-t-il, il est possible de vivre correctement, entendant par “correctement” quelque chose de plus large que “conformément à l'excellence” (ἀρετή/aretê), et discours qui comprend jusqu'à celui qui a la faculté de mettre en suspens (ἐπέχειν/epekhein) —, alors nous dirons avoir une doctrine. En effet, nous sommes en cohérence avec un certain type de discours qui, suivant ce qui est apparent, nous suggère de vivre en rapport avec les coutumes de nos pères, les lois, les manières de faire et les affections propres. »

Voici la conclusion d’une personne en réaction à ce texte pour le moins sibyllin

« Les sceptiques, pourfendeurs de la prétention philosophique à dire le monde, ne seraient-ils pas ainsi des conservateurs individualistes de l'ordre établi ? »
On comprend que le doute puisse s'insinuer, alors il faut me,semble-t-il, préciser certaines caractéristiques du scepticisme.

A cette conclusion logique sous forme de question je me dois de réagir utilement en réponse tant à la rédactrice qu'à la citation de Sextus, et ce de la manière suivante :
   
Effectivement la référence à la phrase "vivre en rapport avec les coutumes de nos pères" évoque immanquablement une forme de conservatisme. Pour autant j'imagine mal Pyrrhon, Arcécilas ou Sextus être des défenseurs de l'ordre établi!

En revanche il est fort possible que ne voulant prendre position sur aucune question, ils en laissent le soin à l'ordre établi ou même si l'ordre devait changer ils en laisseraient le soin au nouvel ordre à venir.

Sont-ce des individualistes ? Peut-être ! Bien qu'il ne faut pas être sceptique pour être individualiste et ce n'est certainement pas la marque de fabrique du sceptique.

Ce qui me paraît devoir ressortir comme trait fondamental chez ce dernier c'est la suspension du jugement car pour tout les philosophes la thèse et l'antithèse fournissent inévitablement une synthèse or le sceptique récuse cette dernière.

Pour lui la raison n'est pas biodégradable mais bien "théoricodégradable", elle s'auto-annule d'elle-même car elle ne peut pas résoudre ses contradictions.

Est-ce immoral ?

Oui quand on cherche à tirer profit des failles du raisonnement comme les Sophistes le faisaient en jetant le trouble dans l'esprit de leurs interlocuteurs.

Non pas du tout immoral quand cela aboutit à démonter toutes les chimères et les vérités de pacotilles dont on nous abreuve depuis la nuit des temps.


C'est un exercice de décrassage de l'âme (encore que le mot âme soit de trop). Ou encore une purification libératoire, une purge de toutes les toxines idéologiques et dogmatiques.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

LE MOI, LE MÊME ET L’AUTRE : COMMENT DÉPASSER LES FRONTIÈRES DE L'EGO ET ACCÉDER À LA TRANSCENDANCE DANS LA RENCONTRE DU VISAGE ?

  Introduction « Le moi, le même et l’autre : comment dépasser les frontières de l'ego et accéder à la transcendance dans la rencontre...