Depuis la plus haute antiquité se pratiquaient des
techniques de soi. On citera durant la Grèce classique et hellénistique des
usages tels que des purifications afin d'être en condition pour accueillir la
vérité des dieux.
La concentration de l'âme afin de lui éviter la dispersion
caractéristique propre à la fluidité du pneuma; la retraite ou l'anachorèse,
s'absenter du monde (on peut être visible mais pourtant être ailleurs) pour
mettre un holà à l'agitation extérieure; l'endurance face aux tentations etc.
La liste n'est pas exhaustive.
On retrouve tardivement quantité de ces techniques de soi
archaïques dans le pythagorisme (ex: l'examen de conscience: se remémorer les
fautes commises durant la journée).
Platon lui-même se fait l'écho de ces pratiques dans le
Banquet, le Phèdre ou l'Alcibiade. On en retrouve également chez les épicuriens
ou les stoïciens.
Mais qu'est-ce que ce soi-même que l'on doit connaître pour
pouvoir s'en soucier ?
Dans l'Alcibiade Socrate s'interroge sur la connaissance de
soi.
Il fait référence à l'oracle de la Pythie de Delphes (gnôthi
seauton) où la connaissance fait clairement référence à l'âme (psukhê).
Comme toutes techniques en général fait appel à un
utilisateur d'instrument, il faut bien admettre que le corps ne peut pas
s'utiliser lui-même (krêsis), aussi il doit y avoir forcément un acteur
différent du corps qui sera précisément l'âme sujet de l'action physique,
rectrice du soma. Néanmoins, Il ne s'agit pas de l'âme substance ou objet.
En quoi doit consister le souci de cette âme?
Il passe par le rapport du maître au disciple qui ne
s'occupe pas ni de la santé de ce dernier, ni de son alimentation, ni de ses
biens ou de son éducation mais uniquement qui se préoccupe du souci du disciple
pour lui-même, et ce souci du souci passe par l'amour désintéressé.
Quand l'âme devient sujet de l'examen et qu'il y a un appel
réciproque, un enchevêtrement entre « gnothi seauton » et « epimeleia heautou »
(entre connaissance et souci de soi) alors la connaissance conduit au divin, à la connaissance divine c'est-à-dire la sagesse
(sôphrosunê).
Or, le paradoxe veut que la fin du récit de l'Alcibiade
(texte le plus explicite sur le souci de soi) se termine par une préoccupation
de justice mais pourtant ce paradoxe n'est qu'apparent dans la mesure où la justice est également divine. En quelque sorte s'occuper de
soi ce serait s'occuper de justice.
Comment Platon lève l’ambiguïté ?
1) On ne peut
bien gouverner qu'en ayant pris soin de soi, c'est un privilège des gouvernants
qui doivent en avoir le temps, la culture, les moyens, la
capacité ... ;
2) Ce souci fera
de l'homme une personne à part, membre d'une élite morale.
Par ailleurs, ce n'est pas la seule question que pose le
texte de Platon.Il soulève également le problème de la pédagogie et celui de
l'érotique.
Du point de vue pédagogique le souci de soi c'est celui que
l'on doit avoir dans la mesure où toute pédagogie est insuffisante pour se
connaître. L'adulte doit pouvoir préparer sa vieillesse.
Quant à l'érotique, hormis quelques exceptions majeures
(chez Platon c'est de la pédérastie), elle va progressivement disparaître du
souci de soi à partir de l'époque hellénistique.
C'est donc les traditions Platonicienne et néoplatonicienne
qui vont faire de la connaissance de soi le
sommet du souci de soi pour accéder à la vérité parce que
cette vérité fait exister le divin en l'homme.
C'est la contradiction de la pensée platonicienne que
d'avoir été le ferment de beaucoup de mouvements spirituels de l'âme, autrement
dit de pratiques liées au divin. Mais concomitamment il a été le levier de la
rationalité. Paradoxe que l'on pourrait résumer par cette formule: connaissance
pure sans condition de spiritualité, et en même temps terreau de la spiritualité dans
la mesure où la connaissance de soi nécessite des pratiques de connaissance du
divin.
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