dimanche 21 juin 2015

LA METAMORPHOSE OU LA PERTE DE SOI CHEZ FRANZ KAFKA

« Lorsque Gregor Samsa s’éveilla un matin, au sortir de rêves agités, il se trouva dans son lit métamorphosé en un monstrueux insecte. Il reposait sur son dos qui était dur comme une cuirasse et, en soulevant un peu la tête, il apercevait son ventre bombé, brun, divisé par des arceaux rigides, au sommet duquel la couverture du lit, sur le point de dégringoler tout à fait, ne se maintenait que d’extrême justesse. D’impuissance, ses nombreuses pattes, d’une minceur pitoyable par rapport au volume du reste, papillonnèrent devant ses yeux.
« Qu’est-il advenu de moi ? » pensa-t-il. Ce n’était pas un rêve. »
C’est en ces mots que l’histoire de la métamorphose (Die verwandlung) d’un certain Gregor Samsa voyageur de commerce va être introduite et la suite ne sera qu’une longue glissade vertigineuse vers l’anéantissement de tout son être.
Ne pouvant plus travailler, situation dramatique pour un soutien de famille, c’est le gérant en personne de l’entreprise où le personnage principal est salarié qui vient prendre de ses nouvelles et rencontre les membres de la maison soit la sœur (Greta), la mère et le père.
« Gregor n’eut qu’à entendre le premier mot de politesse du visiteur pour savoir aussitôt qui c’était  - le gérant en personne. Pourquoi Gregor et lui seul, était-il condamné à travailler pour une entreprise où, dès le moindre manquement, on concevait les pires soupçons contre vous ? »
 -          As-tu entendu comment Gregor vient de parler ?
-          « C’était une voix d’animal », dit le gérant.
C’est la dernière fois qu’on l’entendra parler, ensuite il en sera réduit à un monologue intérieur.

-          Monsieur le gérant, ne partez pas sans me dire un mot pour me montrer que vous me donnez raison, au moins un peu en partie !

« (…) Hélas la fuite du gérant sembla aussi faire perdre la tête  au père (…) il commença à repousser Gregor dans sa chambre en le menaçant de la canne et du journal. »

(…) Il y eut encore la porte [de la chambre ndr] qu’on referma avec la canne ; puis vint enfin le silence.
Pour Gregor ce silence deviendra un profond mutisme, une impossibilité de communiquer.
Même son régime alimentaire lui fera perdre toute son humanité. La scène du lendemain est décrite comme suit :
« Mais la sœur en s’étonnant remarqua tout de suite la jatte [de lait ndr] encore pleine (…) elle la ramassa aussitôt, non pas les mains nues, mais avec un chiffon, et l’emporta. »
Kafka écrit « avec un chiffon » ! On descend encore d’une marche de profundis. 
N’est-ce plus la vaisselle d’un être humain mais d’un insecte porteur de germes ?
En remplacement elle lui sert 
« de vieux légumes à moitié pourris ; des os qui restaient du dîner de la veille entourés d’une sauce blanche, figée ; quelques raisins secs et amandes ; un fromage que Gregor avait déclaré immangeable, deux jours plus tôt ; un morceau de pain sec, une tartine grossièrement beurrée, et une autre aussi, mais salée. A tout cela, elle ajouta encore une jatte sans doute définitivement attribuée à Gregor, et où elle avait versé de l’eau. » (…) « c’est ainsi que Gregor reçut désormais chaque jour sa nourriture, (…) »
Après un mois de cette métamorphose seule la sœur, non sans dégoût, s’était habituée à son nouvel aspect. Mais cette nouvelle vie pèse à Gregor qui va progressivement en perdre le plaisir de manger.
Alors il fait des allez et venues sur les murs et le plafond de sa chambre de réclusion.

Ensuite Kafka introduit une scène où c’est maintenant à la mémoire de Gregor que la sœur et la mère vont s’attaquer.
Parlant de la sœur il écrit : 

« et elle se mit soudain dans la tête de rendre ces déplacements le plus facile possible pour Gregor et donc de débarrasser les meubles [toujours de la chambre ndr] qui le gênaient, principalement le coffre et le bureau.  (…) avait-il [Gregor ndr] réellement envie de laisser métamorphoser  cette pièce confortable, agréablement installée avec des meubles de famille, en une caverne où il pourrait certes ramper partout sans être gêné, mais en sombrant du même coup très vite dans un oubli total de son passé humain ? (…) Elles étaient en train de lui vider sa chambre, de lui prendre tout ce qu’il aimait !
Et quand la mère, dans son effort, prise d’une crise d’asthme fut mal en point, le père s’en pris violemment à Gregor pour le détruire, en lui infligeant une salve de coups ;  car c’était encore forcément de sa faute si les malheurs de la maisonnée n’avaient de cesse.

Néanmoins, « la grave blessure dont souffrit Gregor sembla (…) avoir rappeler au père  de Gregor, malgré sa forme actuelle, triste et répugnante, était un membre de la famille que l’on avait pas le droit de traiter en ennemi (…) »
Très vite la famille va être confrontée à des problèmes de subsistance et d’argent. On renvoya la bonne et vendit des bijoux de famille le père et la mère malgré leur santé défaillante et leur âge effectuaient des petits boulots d’où la culpabilité de Gregor.

On ne faisait plus le ménage de sa chambre et les repas restaient quasi intacts sans être consommés, puis finalement éliminés aux  ordures. 

Il y avait bien une nouvelle femme de service mais dit l’auteur
 « on s’était mis à fourrer dans cette pièce les choses que l’on ne pouvait pas caser ailleurs et il y en avait à présent beaucoup, étant donné que l’on avait pris trois messieurs locataires dans une des chambres de l’appartement. »
Des logeurs, 
sa chambre devenue un fourre-tout,
la culpabilité liée au manque de moyens de subsistance et à la souffrance de sa famille,
tout cela rendait Gregor 
« triste et fatigué à mourir ». (…) comme ces locataires se rassasient moi je dépéris » se dit-il.
Un soir après le dîner lors d’un divertissement au violon Gregor  s’aventura dans la pièce principale et c’est ainsi qu’un nouvel incident allait se produire : les logeurs virent l’insecte.

-          "Je vous donne sur le champ mon congé pour la chambre. Bien entendu je ne vous paierai rien du tout même pour les jours où j’ai logé ici, et je me demande si je ne vais pas vous demander un dédommagement. »

Le premier à s’exprimer fut bientôt suivi de deux autres.

Et nous voilà arrivé au moment le plus dramatique du roman l’instant où Greta se révolte contre son frère :
-          « chers parents »  dit la sœur et en guise d’introduction elle frappa sur la table avec sa main, « cela ne peut pas continuer comme cela. Vous  ne vous rendez peut-être pas compte mais moi, si ! Devant ce monstre je n’ai pas l’intention de prononcer le nom de mon frère, c’est pourquoi je dirai simplement ceci : nous devons essayer de nous en débarrasser. »
-          (…) « il faut qu’il parte » cria la sœur, c’est le seul moyen, Père !  il faut simplement que tu essaies de te débarrasser de l’idée que c’est Gregor.
Quels mots terribles « tu dois te débarrasser de l’idée que c’est Grégor ».

Le lendemain matin c’est la femme de service qui fit la constatation :

-          Venez voir un peu, c’est crevé ; c’est là par terre, complètement crevé ! »
En effet Gregor l’insecte s’était éteint d’inanition.


Le sujet Gregor étant devenu simplement cette chose-là, devenu simplement ce « c’est crevé ; c’est là par terre, complètement crevé ». 

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