Pour Platon, alias Socrate, est
heureux l’être bon et vertueux ne
commettant pas d’injustice au contraire de la personne injuste qui est donc forcément
malheureuse. Par extension, Il en va des hommes comme des cités, le tyran
injuste et le peuple soumis à lui sont malheureux tandis que le roi dans un
système monarchique représente l’idéal d’une organisation sociale heureuse[1].
Dans le Menon on trouve des
affirmations relatives à la théorie de la réminiscence : la science est remémoration
de tous les savoirs acquis par l’âme durant toutes ses vies antérieures; le
tyran abusant de son pouvoir enclin à l’injustice agit involontairement et par
ignorance c’est-à-dire qu’il est incapable de se souvenir des connaissances
acquises par son âme durant toutes ses existences antérieures. Ou encore dans
le Timée on trouve des affirmations jugeant que
la vertu est science de la raison, il compare l’ignorance au même titre
que la folie à une maladie de l’âme nommée déraison « La vérité c’est plutôt que le dérèglement de la
luxure est une maladie de l’âme qui résulte pour la plus grande part d’une
cause corporelle (…)De même, presque tout ce que l’on tient pour une
impuissance à maîtriser les plaisirs et pour un sujet de honte, comme si les
vicieux l’étaient volontairement, fait l’objet d’un reproche injustifié. Car
personne n’est méchant de son plein gré, mais on devient méchant sous l’effet
de quelque disposition maligne du corps et par suite d’une éducation mal
réglée. Tout homme en effet a le vice pour ennemi et le vice lui vient malgré
lui.[2] ». Si la chair produit des effets sur
l’âme, c’est parce qu’elle est reliée au corps par des tendons.
La vertu est une science éthique de la mesure
du bien et du mal où il faut mettre en perspective le court et le long terme.
En effet, ce que nous considérons comme agréable n’est généralement qu’un petit
bien proche et immédiat par rapport à des biens qui nous paraissent petits mais
qui en réalité sont de grands biens car notre calcul est faussé par
l’éloignement spatial et temporel. Vue au loin une petite tour se révèle à
proximité immédiate avoir de grandes dimensions. Ce sont les sens qui nous
trompent, il faut corriger les déformations de la connaissance sensible. Plus
encore, le philosophe doit être mathématicien pour avoir une chance de
contempler les formes éternelles. Ces dernières sont la mesure ou le moule
préalable à l’existence de tout être et toutes les formes sensibles sont une
combinaison de terre, d’eau, d’air et de feu. Aux 4 éléments correspondraient
les 4 polyèdres réguliers connus dans l’antiquité : au feu correspond le
tétraèdre, à l’air l’octaèdre, à l’eau l’icosaèdre et à la terre le cube.
La bonne appréciation de la
mesure permet d’éviter de tomber dans l’illusion de l’art oratoire ou de la
rhétorique qui peut indistinctement mais injustement faire passer de l’être à
son contraire et inversement, c’est ce à quoi s’emploie Socrate dans le Phèdre[i]. « Alors,
mon ami, cet art oratoire, dont fait montre celui qui ne connaît pas la vérité
et qui ne traque que des opinions, paraîtra un art risible, un art qui n’est
est pas un. »
En opposition à cette science des
exactes mesures, à cette contemplation
des réalités éternelles, le Protagoras
du Théétète, qui sera réfuté par Socrate, dira au contraire que l’homme est la
mesure de toutes choses. La vérité devenant la mesure relative de ce qu’il peut
percevoir concrètement sans contemplation des formes en soi.
Donc, en bref pour l’académicien, le philosophe
mais aussi l’homme heureux est celui qui
en opposition au sophiste n’essaie pas de complaire au grand public en usant de
la rhétorique pour emporter l’assentiment des assemblées politiques et
judiciaires, au contraire son art consiste à favoriser la réminiscence des
archétypes que sont les idées platoniciennes culminant jusqu’au Bien absolu.
Mais est-ce que le bien absolu
devrait transparaître dans l’expression de la vérité en toutes circonstances ?
Examinons un peu cette question de plus près.
Nous ne parlerons évidemment pas
de la vérité empirique dans la mesure où il faudrait lui consacrer au moins un livre
entier. Entre autre, cette dernière nous fait dire que la terre est ronde et
sphérique, et rien ne peut venir contre cette affirmation bien que cette assertion
est sous tendue par une représentation commune, c’est-à-dire qu’aucun homme ne
pourrait honnêtement constater autre chose. Pourtant l’homme n’est pas le seul
être sensible et nous ne savons pas ce qu’une araignée propulsée dans un vaisseau
spatial verrait de son point de vue avec 4 paires d’yeux. Il ne suffit pas de
dire que notre planète est comme ça car si l’on en fait le tour nous
reviendrions inévitablement à notre point de départ, mais bien au contraire il
faut admettre que si elle était ronde et plate ce serait la même chose, on
passerait du côté pile au côté face et rejoindrions ainsi le point initial. Indubitablement
la vérité empirique est fondée seulement
sur une représentation commune en deux ou trois dimensions.
Bien sûr ce n’est pas de cette
vérité là qu’il faut parler mais des vérités
judiciaire, dialectique ou conceptuelle, de la bonne foi et/ou de la
conviction !
Dans l’Apologie de Socrate, le
maître de Platon se présente d’abord comme une victime du mensonge, incapable
de manipuler son auditoire : « Quelle
impression mes accusateurs ont faite sur vous, Athéniens, je l’ignore. Pour
moi, en les écoutant, j’ai presque oublié qui je suis, tant leurs discours
étaient persuasifs. Et cependant, je puis l’assurer, ils n’ont pas dit un seul
mot de vrai. Mais ce qui m’a le plus étonné parmi tant de mensonges, c’est
quand ils ont dit que vous deviez prendre garde de vous laisser tromper par
moi, parce que je suis habile à parler. Qu’ils n’aient point rougi à la pensée
du démenti formel que je vais à l’instant leur donner, cela m’a paru de leur
part le comble de l’impudence, à moins qu’ils n’appellent habile à parler celui
qui dit la vérité. Si c’est là ce qu’ils veulent dire, j’avouerai que je suis
orateur, mais non à leur manière. Quoi qu’il en soit, je vous répète qu’ils
n’ont rien dit ou presque rien qui soit vrai. Moi, au contraire, je ne vous
dirai que l’exacte vérité[3] . » ; « (…)
pourtant, soyez sûrs que je ne vous dirai que la vérité[4]. » « Or,
par le chien, Athéniens, car je vous dois la vérité,(…) »[5] « Je vous ai dit la vérité, Athéniens, sans cacher
ni dissimuler quoi que ce soit, important ou non. »[6] « Et maintenant moi, je vais sortir d’ici condamné
à mort par vous, et eux condamnés par la vérité comme méchants et criminels,(…)[7] »
Ainsi Platon prétendant que la
vérité condamne les méchants et les criminels sous-entend également la parenté
de la vérité et de la volonté car nul ne peut être méchant contre sa volonté.
Pourtant, en dehors du procès de
Socrate et de bien d’autres textes du même auteur la vérité n’a pas toujours
été dans ses projets politiques, il y a même quelques intentions machiavéliques
: « Et, pour obtenir, si possible, des
enfants doués dès leur naissance du meilleur naturel, ne nous souvenons-nous
pas d’avoir dit que les magistrats de l’un et de l’autre sexe doivent, pour
assortir les époux, s’arranger secrètement, en les faisant tirer au sort, pour
que les méchants d’un côté et les bons de l’autre soient unis à des femmes qui
leur ressemblent, sans que personne leur en veuille pour cela, parce qu’on
attribuera ces unions au hasard[8] ». « Je veux ensuite que ces fonctionnaires portent au
bercail les enfants des citoyens d’élite et les remettent à des gouvernantes
qui habiteront à part dans un quartier particulier de la ville. Pour les
enfants des hommes inférieurs et pour ceux
des autres qui seraient venus au monde avec quelque difformité, ils les
cacheront, comme il convient, dans un endroit secret et dérobé aux regards[9]
».
Ainsi nous devons comprendre que
la vérité n’est même pas réservée, dans l’organisation sociale idéale, aux bons
car ils ne sauront jamais comment leur union s’est réalisée. En fait elle est
une prérogative du sage consacrant son temps à l’activité contemplative des archétypes,
tâche à laquelle le corps et ses sensations font obstacle durant la vie. Dans
le Phédon Socrate conclu de sa dialectique :
« Il
suit de toutes ces considérations, poursuivit-il, que les vrais philosophes
doivent penser et se dire entre eux des choses comme celles-ci : Il semble que
la mort est un raccourci qui nous mène au but, puisque, tant que nous aurons le
corps associé à la raison dans notre recherche et que notre âme sera contaminée
par un tel mal, nous n’atteindrons jamais complètement ce que nous désirons et
nous disons que l’objet de nos désirs, c’est la vérité. Car le corps nous cause
mille difficultés par la nécessité où nous sommes de le nourrir ; qu’avec cela
des maladies surviennent, nous voilà entravés dans notre chasse au réel. Il
nous remplit d’amours, de désirs, de craintes, de chimères de toute sorte,
d’innombrables sottises, si bien que, comme on dit, il nous ôte vraiment et
réellement toute possibilité de penser. Guerres, dissensions, batailles, c’est
le corps seul et ses appétits qui en sont cause ; car on ne fait la guerre que
pour amasser des richesses et nous sommes forcés d’en amasser à cause du corps,
dont le service nous tient en esclavage. La conséquence de tout cela, c’est que
nous n’avons pas de loisir à consacrer à la philosophie. Mais le pire de tout,
c’est que, même s’il nous laisse quelque loisir et que nous nous mettions à
examiner quelque chose, il intervient sans cesse dans nos recherches, y jette
le trouble et la confusion et nous paralyse au point qu’il nous rend incapables
de discerner la vérité. Il nous est donc effectivement démontré que, si nous
voulons jamais avoir une pure connaissance de quelque chose, il nous faut nous
séparer de lui et regarder avec l’âme seule les choses en elles-mêmes. Nous
n’aurons, semble-t-il, ce que nous désirons et prétendons aimer, la sagesse,
qu’après notre mort, ainsi que notre raisonnement le prouve, mais pendant notre
vie, non pas[10] ».
[1]
Idem sur les systèmes politiques in « La République » livre IX à
partir de 576c
[2] Platon,
« Timée » p. 210-211 édition GF Flammarion 5ème édition, Paris 2001
[3]
Apologie de Socrate, p 29 Bibliothèque électronique du Quebec.
[4] Ibidem p 36
[5] Ibidem p 39
[6] Ibidem p 43
[7]
Ibidem p 77
[8]
Timée, Bibliothèque électronique du Quebec p 51
[9] République,
V, 460 e
[10]
Phédon p 73-74, Bibliothèque électronique du Québec.
[i] « Phèdre
Que veux-tu dire par-là
?
Socrate
Si on cherche de ce
côté, il me semble que les choses vont s’éclairer. Où l’illusion est-elle la
plus considérable : dans les choses qui diffèrent beaucoup ou dans celles qui diffèrent peu ?
Phèdre
Dans celles qui
diffèrent peu.
Socrate
C’est évident : si tu te
déplaces petit à petit, ton mouvement dans la direction opposée passera plus
facilement inaperçu que si tu te déplaçais d’un grand coup.
Phèdre
Sans contredit.
Socrate
Ainsi celui qui se
propose de tromper quelqu’un d’autre, sans être lui-même dupe de cette
tromperie, doit savoir exactement à quoi s’en tenir sur ce à quoi ressemblent
les réalités en question et sur ce dont elles diffèrent.
Phèdre
C’est forcé.
Socrate
Dès
lors, sera-t-il possible, si l’on ignore ce qu’est véritablement chaque chose,
de reconnaître dans les autres choses, la ressemblance grande ou petite
qu’entretiennent avec elles la chose qu’on ignore ?
Phèdre
Ce sera impossible.
Socrate
Donc, quand on a une
opinion qui va contre la réalité et
qu’on est dupe d’une illusion, l’état en question est manifestement induit par
certaines ressemblances.
Phèdre
Oui, c’est bien ainsi
que la choses se passent.
Socrate
Est-il possible de
posséder l’art de changer petit à petit de façon à aller chaque fois, au moyen
de la ressemblance, de l’être à son contraire ou d’échapper soi-même à cet
état, si l’on ignore ce qui en est de chaque réalité ?
Phèdre
Non,
jamais !
Socrate
Alors,
mon ami, cet art oratoire, dont fait montre celui qui ne connaît pas la vérité
et qui ne traque que des opinions, paraîtra un art risible, un art qui n’est
est pas un.
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