dimanche 15 mars 2015

Qu'est-ce que la conscience ?

a) De la conscience objective représentative.

 Prenons deux concepts fort répandus et cherchons en quoi ils se ressemblent, se superposent et se différencient. Pour l’occasion, nous choisirons la notion de conscience, d’une part, et la notion d’ego, d’autre part. Intuitivement le lecteur comprend la parenté entre les deux, pourtant il sait aussi voir leur différence. Etant dans le domaine des fonctions mentales et psychiques, c’est-à-dire dans une approche métaphysique du vivant, nous aurons besoin de comparaisons d’ordre physique pour mieux cerner le rapport existant entre les deux. Plus exactement les comparaisons seront empruntées principalement au domaine de l’astrophysique et accessoirement au domaine de l’informatique. Commençons par le mot conscience. Il évoque bien entendu la conscience de l’être dans le monde. Avoir conscience de quelque chose, c’est établir un rapport singulier, signifiant et opérationnel avec cet objet. Dans la pratique nous concevons la conscience par son absence, c’est-à-dire qu’un défunt n’a pas de conscience, comme un individu dans le coma n’en dispose pas, un dormeur n’en a peut-être pas non plus et sa présence au monde est remplacée par une inconscience, quand on perd connaissance en s’évanouissant, par exemple, on dira également avoir perdu conscience. Donc, sans savoir exactement ce qu’elle est, nous savons au moins ce qu’elle n’est pas. Aussi, pour remplacer ce concept, on peut également utiliser les mots de représentation des phénomènes, autrement dit notre encéphale possède la propriété de voir le monde d’une certaine manière grâce aux sensations conduites par une série de processus biochimiques et électriques vers un reflet mental du monde dénommé, en l’occurrence, représentation mentale. On peut donc établir l’équivalence entre conscience et représentation. Toujours intuitivement, le lecteur comprendra que cette représentation est le fruit d’une recomposition du monde. En effet, nous ne sommes pas le monde. C’est une image construite en nous qui le remplace. La conscience est donc un reflet intérieur de l’extérieur. Une image, une représentation ou un reflet, au choix, est toujours associé à la lumière. Dans le noir il n’existe rien de perçu visuellement. Certes les mammifères possèdent 5 sens et peuvent donc se passer de la vue, mais même un aveugle doit se représenter un espace intérieur qu’il recompose grâce au toucher, à l’odorat, à l’ouïe et si nécessaire au goût. La chauve-souris se déplace habilement dans l’obscurité aussi, dans ce cas, elle utilise un sonar destiné à repérer les obstacles et l’efficacité de ses déplacements nocturnes montre à suffisance comment l’espace peut être appréhendé sans lumière dans ses trois dimensions irréductibles, néanmoins, dans le cas d’espèce, l’écholocation est utilisée uniquement à des fins d’évitement ou de chasse en cas d’absence de ladite lumière, non sans elle mais par manque de ses rayons ou pour, en quelque sorte, les remplacer. La lumière restant la référence de toute représentation et les organes de perception substitutifs ne font que pallier au manque de clarté. L’évolution phylogénétique de ce mammifère aurait été plus simple s’il devait chasser le jour, et non la nuit, pourtant si la formule nocturne a été retenue par la sélection naturelle, il le doit probablement au besoin de se protéger de ses prédateurs diurnes. Cas vécu personnellement, cette nécessité d’une conscience éclairée nous est également confirmée par l’histoire d’un petit chat noir dénommé Titou qui, curieux de la télévision, fixe l’écran avec beaucoup d’attention. Pour lui, il n’y a pas de différence entre le virtuel et le réel, aussi il voudrait atteindre l’image mais il ne peut pas y accéder, et logiquement il essaie donc de toucher l’écran avec sa petite patte mais malheureusement rien ne se passe, l’objet reste insensible. Dans son esprit, la chose n’est pas possible, alors il décide de chercher le personnage derrière le récepteur et là encore rien ne se trouve ; enfin il abandonne ses recherches car le mystère est trop grand. Ce que l’on voit il faudrait pouvoir lui donner plus de réalité, ainsi le petit chat essaie de sentir, de toucher et même de lécher l’écran. Pour lui le mystère est insondable car il ne sent pas l’odeur et ne peut pas toucher l’objet bien qu’il le voit et l’entend. Aussi, d’une manière directe ou indirecte la conscience est toujours d’abord associée au facteur lumière comme représentation tridimensionnelle (ou substance étendue dirait Spinoza) voire accessoirement par d’autres perceptions sensorielles complexes et ce, pour des raisons souvent stratégiques, parfois après un handicap ou bien encore en raison de l’environnement. Le lombric n’a pas d’organe visuel, pas de système nerveux central et donc probablement pas une représentation ni une conscience bien définie ; il ne saurait d’ailleurs rien en faire dans son milieu chtonien, il va donc substituer à la vue, les sens tactiles et l’odorat. Autrement dit, la lumière même absente sert de fondement à une représentation orientée dans l’espace, c’est la vision qui est l’essence même de la conscience et pour accroître son efficacité, elle se donne plus de corps grâce aux 4 autres sens qui peuvent, à l’occasion, se substituer à la vue. A preuve, si la connaissance œnologique par exemple, utilise le goût et l’odorat comme l’art du menuisier a besoin du toucher pour obtenir un résultat probant et significatif, il n’en est pas moins vrai que plus notre connaissance et notre savoir-faire s’écartent de l’environnement habituel, plus s’accroît l’usage de l’observation visuelle ; ainsi en astrophysique comme en microphysique le toucher, l’odorat, le goût et l’ouïe sont très peu utilisés sinon pas du tout. Lorsque le savoir atteint les limites de l’inconnu toutes les recherches se focalisent sur le visuel, la perception de la lumière, de l’infrarouge à l’ultraviolet, et de sa réflexion sur les objets. Même si au-delà du spectre lumineux il y a les ondes radio, elles peuvent faire l’objet de mesures mais celles-ci ne seront pas écoutées, elles seront captées et finalement visualisées sur les instruments de mesure. Les scientifiques n’écoutent pas la musique des sphères et quand bien même arriveraient de l’espace des signaux sonores audibles, en fait ces informations constituent des données accessoires. Dans le Cosmos la lumière de référence est produite par les étoiles, et notre soleil est l’une d’elles parmi de nombreuses autres à produire des rayons lumineux issus de la fusion nucléaire. Une étoile se forme grâce à la force de gravitation qui par pression et fusion nucléaire va former la matière, et progressivement au cours de plusieurs milliards d’années finira par l’écraser, puis enfin l’exploser en dégageant une quantité impressionnante d’énergie dont une grande partie est constituée de photons (sous forme d’un blinding flash). En suivant notre comparaison (lumière/conscience) on comprend donc que la conscience est en somme un produit lié à une force constituante et cohérente : la gravitation [avec l’échauffement et le dégagement de photons consécutifs], et à son dégagement de lumière qui reflétée sur les objets de notre environnement crée une représentation ou un phénomène conscient. Mais nous n’avons jusqu’à présent évoqué que la représentation mentale du monde objectif, or notre conscience ne s’arrête pas au monde extérieur, elle perçoit également notre vie intérieure et le monde des pensées, c’est la fameuse découverte de Descartes « Cogito ergo sum ». La question se pose alors de savoir s’il existe un monde intérieur avec sa lumière propre susceptible de générer une représentation subjective ou plus exactement imaginative et réflexive. La réponse est positive ! Oui, il existe bien une force interne capable de constituer un univers de pensées d’images et d’idées. Elle matérialise l’appareil cognitif, fonction par laquelle nous construisons une représentation réfléchissante de la réalité, donc de notre environnement, à partir des sensations (idées, symboles, images, langage, mémoire, logique, raisonnement, mathématique etc.) ; elle construit aussi un monde intérieur émotionnel d’affects nous reliant au monde par un ressenti positif ou négatif en dehors de toutes connaissances réfléchies de ce dernier. Mais où peut-on trouver cette force comparable en notre for intérieur ? Ce n’est évidemment pas la force de gravitation ! Dans l’Univers on en dénombre quatre : la force nucléaire faible, la force nucléaire forte, la force électromagnétique et la gravitation. Nous avons déjà éliminé la dernière et autant dire immédiatement qu’il ne faut pas chercher du côté des trois autres. Il existe bien également la force centrifuge et la force centripète mais, dans ce cas, on parle d’une orientation de la force et non de sa nature. Les quatre exemples ci-dessus relèvent de la force centripète. L’expansion de l’Univers est au contraire de nature centrifuge.

 b) De la conscience subjective imaginative ou ego.

 En fait, pour comprendre la nature de cette force constituante et cohérente de la conscience subjective nous devons emprunter des notions étrangères à la cosmologie, à la philosophie comme à la psychologie et rechercher dans le domaine informatique, si riche en termes de traitement de données virtuelles, des ressemblances avec la gestion de l’information au niveau de l’encéphale, donc de la représentation ou de la conscience humaine et animale. Ce détour technologique a pour but d’énoncer la distinction entre deux formes de conscience radicalement hétérogènes : d’une part, la conscience active et d’autre part, la conscience passive. Pour nous aider à comprendre la différence entre les deux, faisons donc cette digression et comparons les notions de mémoire RAM (Random Access Memory) et de mémoire ROM (Read Only Memory) dans le cadre de notre sujet d’examen. Il n’est pas encore d’usage de parler d’une conscience artificielle pourtant elle existe belle et bien sous l’appellation de mémoire RAM ou mémoire vive. En clair, il s’agit d’un traitement de ’information pendant un laps de temps court équivalent à la mise sous tension, soit durant la période se situant entre le démarrage et avant la fermeture d’un programme informatique. Toutes les données traitées seront irrémédiablement perdues si un acte volontaire d’enregistrement n’est pas posé. La conservation des data se fait sur un support matériel, généralement un disque dur et, ce passage du traitement de l’information à son stockage nécessite un matériel qualifié de mémoire ROM. Pour l’encéphale animal et humain, la conscience active est (dans notre jargon la conscience objective et représentative), toute proportion gardée, comparable à la mémoire RAM dans la mesure où les processus des sensations, de l’intuition et enfin de la représentation mentale ne nécessitent pas une quelconque conservation. C’est comme dans la grande cuisine on travaille uniquement avec des produits frais. De son côté, la conscience passive chez l’être vivant (dans notre jargon la conscience subjective ou imaginative), comparée à la mémoire ROM travaille exclusivement avec des données enregistrées, c’est-à-dire des produits conservés ; on peut assimiler son fonctionnement à de la cuisine de mauvaise qualité. Pourtant dans nos sociétés la culture, le passé et la mémoire des temps anciens sont surévalués et donnent aux gens cultivés un statut généralement supérieur à la moyenne sociale eu égard à une population donnée. Pourquoi donc la mémoire humaine est-elle un piège potentiel ? Imaginez votre ordinateur dont toute la mémoire vive serait accaparée par des données enregistrées sur le hardware, dans ce cas le software actif serait ralenti de manière significative au point, parfois de rendre le travail difficile voire impossible ; dans ce cas, vous devriez effacer et libérer de la mémoire morte pour dynamiser la mémoire vive c’est-à-dire la conscience vivante. Bien entendu, nous avons besoin du savoir et plus nous en possédons, plus notre capacité d’action dans le monde est importante, mais consécutivement, plus nous obtenons de pouvoir sur l’objet, moins nous maîtrisons le sujet, c’est-à-dire notre être dit intérieur. La culture accumulée est malheureusement souvent toxique car son action n’est pas en phase avec le réel du présent, elle est comme un « ROM imbuvable » pour les invités, aux effets hallucinogènes, qui vous tape dans le crâne en vous laissant la gueule de bois au petit matin. La raison principale de la nocivité culturelle est la création d’un capital de mémoire ayant sélectionné les informations dignes d’être retenues mais ce facteur varie en fonction des zones géographiques et des sensibilités individuelles. D'une culture à l’autre, d’une personne à l’autre, les valeurs et les références changent, aussi se créent des antagonismes propres aux sociétés humaines dont les représentations, les valeurs et les symboles s’opposent systématiquement les uns aux autres. Certes nous pourrions faire l’effort d’apprendre toutes les cultures, d’essayer de comprendre l’autre mais cela est tellement difficile que peu de gens en sont capables ; la tolérance a certainement beaucoup de vertus mais elle réclame un pouvoir d’autocontrôle fortement énergivore. Et selon la loi universelle de l’entropie toute dépense d’énergie provoque du désordre. Le dialogue entre les cultures, l’œcuménisme des religions, l’interdisciplinarité des sciences ou des techniques et la dialogique des savoirs sont certes louables mais il faut craindre voir tous ces efforts voués à l’échec. La réalité de la coexistence pacifique n’est sûrement pas dans l’affirmation de nos croyances et de notre être conditionné. Lors de toutes rencontres, il faut faire précisément l’inverse : mettre son ego de côté, laisser ses références au vestiaire et se présenter le plus simplement possible avec juste une conscience active même si elle « RAM » dans cet exercice. A cet égard, l’existentialisme sartrien, en consentant aux déterminations individuelles, une importance de premier plan est un piège parce qu’il décrète : « quand nous disons que l’homme se choisit, nous entendons que chacun d’entre nous se choisit, mais par là nous voulons dire aussi qu’en se choisissant, il choisit tous les hommes. En effet, il n’est pas un de nos actes qui, en créant l’homme que nous voulons être, ne crée en même temps une image de l’homme tel que nous estimons qu’il doit être. (…) Ainsi je suis responsable pour moi-même et pour tous, et je crée une certaine image de l’homme que je choisis ; en me choisissant, je choisis l’homme. » Au contraire, il faut pouvoir sortir de l’affirmation de soi et stopper la pensée qui génère une quantité de représentations parasites, un écran de fumée entre nous et les autres. Plus encore, il faut rejeter cette affirmation de soi qui nous oblige à transformer l’autre à l’image de ce qui, à nos yeux, est bon. La mémoire morte distinguée de la conscience active (mémoire active, instantanée) est à l’image d’un vieux grenier en désordre et poussiéreux où on n’y invite généralement nulle âme vivante, c’est le royaume des araignées, des cafards et autres bestioles du désordre, or comparativement à une réception mondaine, c’est malheureusement ce que nous faisons avec le dialogue interculturel où, à l’occasion d’une rencontre, chaque personne apporte son bagage culturel et ses choix avec elle. L’intention est sûrement généreuse mais en invitant à un moment convivial – ou le croit-on tel – dans un endroit inapproprié c’est-à-dire là où domine le désordre intérieur, soit également en proposant nos références de communication, nos images, nos symboles, nos idées et autres sources d’identification comme support de dialogue interpersonnel, social et culturel, et bien, dans ce contexte, surgit toujours l’incompréhension et le clash n’est jamais loin ; de manière récurrente, il y a des sous-entendus et des malentendus pour ne pas dire une concurrence insidieuse voire même une interprétation du comportement d’autrui, une lecture en filigrane du non verbal comme s’il existait un code caché et des intentions inavouables dans le ressort de l’interlocuteur. Il ne suffit pas de mettre de l’ordre sous la charpente, de dépoussiérer l’endroit pour le rendre accueillant, cela restera toujours un lieu brut et peu avenant sauf à l’occasion, bien entendu. Si vous invitez systématiquement dans un tel endroit où règne les références du passé, vous allez très vite lasser vos hôtes voire les exaspérer même s’ils sont passionnés par la découverte et l’altérité. Par contre, la conscience active (ou objective) est, de son côté, en rapport avec l’instant, le présent, elle peut conserver les expériences vécues ou peut également oublier ses contenus volontairement comme involontairement suite par exemple à une déficience mentale, une inattention, ou encore par manque de concentration. Dans tous les cas, le cerveau fait table rase d’expériences perdues ou jugées inutiles. La conscience devient comme un espace ouvert sans obstacle, il n’y a plus de charpente, plus de poussière, plus d’araignée, plus rien qui puisse effrayer. Mais sitôt qu’elle enregistre et pour autant que les contenus soient réutilisables, le rapport de la conscience au présent diminue progressivement. On passe insensiblement de l’action fugace à la mémoire pérenne. A un certain moment et à un certain point, il se produit un basculement où les contenus de l’esprit sont totalement envahis par la mémoire morte en sorte de se retrouver aveuglé et trompé sur la réalité de l’instant vécu. Alors, la programmatique des contenus l’emporte sur la spontanéité et la fugacité du moment. A ce stade, il y a pétrification, matérialisation en bloc contre bloc, synthèse du divers hétérogène en une unité homogène, passage et appropriation de la conscience vivante par la mémoire morte, et cela se produit sous l’égide d’un pouvoir despotique, invisible et souvent inconnu : l’EGO, le créateur de l’homme, c’est notre dieu caché.

Références extrait de « Egoplégie » d’Emmanuel Halden p 19-26

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