D’emblée disons que (...) l’homme n’est pas supérieur ni à
la bête, ni à la plante en terme de complexité, certes il y a des variations
phénotypiques, mais le génotype humain n’est pas franchement plus complexe que
celui d’un tubercule de pomme de terre. Il peut-être plus spécialisé comme le phénotype
du neurone ou celui d’une cellule osseuse.
Malgré cela, on a toujours placé l’homme au-dessus de tout
dans une classe à part produisant de la sorte un effet délétère : l’entropie du
vivant ou la disparition des espèces.
Pourquoi ?
Reprenant notre idée de complexité (càd. complexité génétique croissante n.d.r.),
nous devrions en toute logique concevoir un être supra-humain, par exemple les
sociétés, mais à l’analyse ce concept de société vivante ne tient pas la route
car si lesdites sociétés sont effectivement plus complexes que chacun de ses composants
(les individus), il n’en est pas moins vrai que la complexité ne peut pas
surgir d’éléments tous identiques : l’homme.
Dans la pyramide de la complexité (cf Hubert Reeves) ce sont
des éléments différents qui s’associent entre eux pour former une classe
supérieure plus variée que la classe inférieure; suivant ce principe il devrait
donc y avoir plus de sociétés (ou de culture) que de genres d’êtres humains ;
c’est probable mais aussi, il devrait y avoir plus de cultures que de genres
d’animaux et de plantes, et ici la vérification montre une erreur de jugement. On
pourrait expliquer l’anomalie en reformulant le terme société ne désignant plus,
cette fois, une association d’êtres humains mais bien plus largement une
association d’humains, de plantes et d’animaux ; en effet, que seraient nos
vies sans l’agriculture, l’élevage, les jardins, les plantes ornementales ou
les animaux de compagnie.
Malheureusement, cette remarque ne lève pas l’ambiguïté car
si tous systèmes (les sociétés en font partie) produisent normalement des contraintes
sur les individus (hommes, bêtes et végétaux) et des phénomènes émergeants
(voir première partie), alors aussi elles doivent susciter l’émergence d’une
conscience collective ; sans quoi une collectivité reste une foule anonyme
juxtaposant l’une à côté de l’autre des individualités séparées dont le seul
intérêt à vivre ensemble est la satisfaction de besoins. Les bêtes mangent les
végétaux, les hommes mangent les plantes et les animaux, et par-dessus tout,
les privilégiés exploitent les moins nantis ; de ce processus sortirait une
soi-disant conscience collective. Est-ce possible ?
Sans jeu de mots, cette théorie de la prédation domestiquée
est difficile à avaler ; la pyramide sociale se superposant pour l’occasion à
la pyramide de la complexité. Plus encore, on ne peut pas parler d’association entre
l’humain, l’animal et le végétal, quand on connait l’usage alimentaire de la culture et de l’élevage,
quand on sait comment sont
commercialisés et parfois abandonnés nos chers petits compagnons. En fait, nos
sociétés sont compliquées et difficile à comprendre mais ne présentent aucun
caractère de la véritable complexité.
Pour l’humanité socialisée il est impossible de développer
une conscience collective, car le même associé au même ne peut rien produire de
nouveau ou de supérieur, et les organismes vivants asservis à l’être humain ne
sont pas des associés mais sont réduits à l’état d’objet ou de matière destinée
à l’alimentation ou à l’agrément. Qui que nous soyons, nous comptons pour les
mêmes bipèdes du genre homo, nos relations sont de type homogène.
Entre un ouvrier en bas de l’échelle sociale et un dirigeant
politique au sommet la différence est insignifiante tant sur le plan physique
qu’intellectuel, on peut parler de
spécialisation ou d’aptitudes particulières, mais les fonctions sont
réversibles ; l’ouvrier peut devenir politique et le politique ouvrier. Pour
générer de la conscience, il faut un organe de centralisation capable de
traiter les informations en leur donnant du sens, et pour ce faire les cellules
vivantes se transforment d’une manière telle qu’il n’est pas possible
d’utiliser un neurone à la place d’une cellule osseuse ou une cellule osseuse à
la place d’un neurone. Entre les humains cette spécialisation n’est clairement
pas suffisante et donc aucun organe de décision politique, économique ou social
ne peut générer une conscience collective. En réalité, la pseudo-conscience
collective est une addition d’égoïsmes et une synergie entre des intérêts plus
ou moins partagés.
Par conséquent, toute société est un système aveugle
générant de l’exploitation et des destructions de masse. La pire illusion
consiste à croire au bonheur en cherchant son utile selon une formule
d’inspiration spinoziste, car immanquablement l’utile à soi nuira à
l’épanouissement d’autrui. Pour faire fonctionner un tel système, il lui faut
une régulation morale, un dieu ou une main invisible, c’est-à-dire de
l’illusion, des fables, des fantaisies et de la manipulation mentale, tandis
que la vraie complexité par structuration d’éléments hétérogènes n’a besoin
d’aucun régulateur, d’aucune superstructure dirigeante. Les collectivités
humaines sont comme des aspirateurs de particules, des trous noirs dont la
force de gravitation détruit systématiquement les structures à leur portée. Plus
encore, à y regarder de plus près, l’hétérophagie et l’exploitation n’ont rien
à voir avec la complexité, où il est question d’association et non de destruction
pour manger. Cette dernière n’apporte pas plus d’information
(ou d’entropie négative) mais uniquement de l’entropie. En cela, nous devons entièrement donner raison
à Levy Strauss pour qui « le monde a commencé sans l’homme et s’achèvera sans
lui » (Triste Tropique).
Nonobstant ce pessimisme justifié, nous pensons que les
sociétés humaines doivent muter pour se renouveler et relancer le processus de
la complexité informationnelle ; le défi de demain est la dégressivité du principe
entropique, d’exploitation et la progressivité du processus d’association
informationnelle comme de la coopération entre les espèces vivantes.
Références extrait de « Egoplégie » d’Emmanuel
Halden p 424-426
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